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L'énigme des blancs manteaux

Titel: L'énigme des blancs manteaux
Autoren: Jean-François Parot
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rafales qui balayaient le pont, une odeur pénétrante de poisson et de sel flottait à bord. Outre quelques fûts de vin d'Ancenis, on transportait une importante cargaison de morue salée.
    Deux silhouettes se dessinaient à l'avant dubateau. La première était celle d'un membre de l'équipage scrutant, les traits crispés par l'attention, la surface trouble des eaux. Il tenait à la main gauche un cornet semblable à celui dont usaient les postillons; en cas de péril, l'alarme serait donnée au patron qui tenait la barre à l'arrière.
    L'autre était celle d'un jeune homme en habit noir et botté, le tricorne à la main. Il y avait chez lui, malgré sa jeunesse, quelque chose de religieux et de militaire. La tête haut levée, la chevelure brune rejetée en arrière, son immobilité tendue faisaient de lui comme la figure de proue, impatiente et noble, du bâtiment. Son regard sans expression fixait, sur la rive gauche, la masse de Notre-Dame-de-Cléry, dont l'étrave grise fendait les nuées blanches des berges et paraissait vouloir rejoindre la Loire.
    Ce jeune homme, dont l'attitude volontaire eût impressionné tout autre témoin que le marinier, se nommait Nicolas Le Floch.
    Nicolas était tout à sa méditation. Un peu plus d'un an auparavant, il parcourait le même chemin en sens inverse, vers Paris. Comme tout était allé vite ! Maintenant, en route vers la Bretagne, il repassa dans sa mémoire les événements des deux derniers jours. Il avait pris la malle rapide pour Orléans, où il comptait embarquer sur un chaland. Jusqu'à la Loire, le voyage n'avait été émaillé par aucun de ces incidents pittoresques qui distraient généralement le voyageur de son ennui. Ses compagnons de voyage, un prêtre et deux couples âgés, n'avaient cessé de le considérer en silence. Nicolas, habitué au grand air, souffrait de la promiscuité et des odeurs mêlées de la voiture. Ayant tenté d'abaisser une glace, il en avait vite été dissuadé par cinq regards réprobateurs. Le prêtre s'était même signé, ayant sans doute pris cette velléité de libertépour une possible manifestation du malin. Le jeune homme se l'était tenu pour dit, et s'était encoigné, entraîné peu à peu par la monotonie du chemin, à prendre la voie du rêve. À présent, la même songerie l'envahissait sur le chaland et, à nouveau, il ne voyait ni n'entendait plus rien.

    C'était vrai que tout était allé trop vite. Clerc de notaire à Rennes, après avoir fait ses humanités chez les Jésuites de Vannes, il avait été rappelé brutalement à Guérande par son tuteur, le chanoine Le Floch. Sans explications superflues, il avait reçu un équipement, une paire de bottes, quelques louis, ainsi que force conseils et bénédictions. Il avait pris congé de son parrain, le marquis de Ranreuil, qui lui avait remis une lettre de recommandation pour M. de Sartine, un de ses amis, magistrat à Paris. Le marquis était apparu à Nicolas à la fois ému et gêné, et le jeune homme n'avait pu saluer la fille de son parrain, Isabelle, son amie d'enfance, qui venait de partir pour Nantes chez sa tante de Guénouel.
    Le cœur serré, il avait franchi les vieilles murailles de la Cité avec un sentiment d'abandon et de déchirement encore accru par l'émotion visible de son tuteur et par les cris déchirants de Fine, la gouvernante du chanoine. C'était dans un état second que le long périple, par eau et par terre, l'avait acheminé vers son nouveau destin.
    Il avait repris conscience à l'approche de Paris. Sa poitrine se serrait encore au souvenir de l'effroi ressenti lors de son arrivée dans la capitale du royaume. Jusque-là, Paris n'était pour lui qu'un point sur la carte de France pendue au mur de la salle d'étude du collège de Vannes. Abasourdi par le bruit et le mouvement qui se manifestaient dès les faubourgs,il s'était senti ahuri et vaguement inquiet devant une vaste plaine couverte d'innombrables moulins à vent aux ailes agitées qui lui avaient fait l'effet d'une troupe de géants emplumés, tout droit sortis du roman, qu'il avait lu plusieurs fois, de M. de Cervantes. Le va-et-vient incessant des foules en haillons aux barrières l'avait saisi.
    Encore aujourd'hui, il revivait son entrée dans la grande ville: des rues étroites, des maisons prodigieusement hautes, une chaussée malpropre, boueuse, tant et tant de cavaliers et de voitures, des cris et ces odeurs innommables...
    À son arrivée, il s'était égaré
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