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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete
Autoren: Jose Frèches
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cette journée ! Toutes ces flammes qui dévorent ces splendeurs… quel spectacle inoubliable ! Un véritable rêve de photographe, mon général… lâcha le reporter italien qui avait gardé un accent italien à couper au couteau.
    Beato paraissait concentré à l’extrême, avec cet air gourmand qu’ont les fauves lorsqu’ils sont en chasse et que la pauvre gazelle est enfin à portée de leurs crocs. Bowles, dont le voyeurisme n’allait pas jusque-là, en était si écœuré qu’il préféra détourner le regard.
    Grant et son acolyte laissèrent le mitrailleur d’images à ses œuvres morbides et poursuivirent leur tournée d’inspection comme si de rien n’était. Puis, pour une raison inconnue et alors qu’ils passaient devant un élégant pavillon miraculeusement préservé, le généralissime flatta l’encolure de son pékinois. A cet instant, Bowles, qui bouillait de colère et d’ordinaire aimait plutôt les chiens, eût volontiers étouffé entre ses mains ce balai ambulant dont les poils étaient couverts de cendre à force de fureter ici et là, la queue au vent, visiblement ravi de faire un si grand tour avec son maître.
    Ils repassèrent devant les sikhs.
    Cette fois, par petits groupes, les Indiens balançaient dans le bûcher des portes en bois de cèdre ornées de masques de dragons. Les planches de plus de trois mètres de haut se consumaient à une vitesse hallucinante, laissant le sol jonché de faces de Taotie {72} incandescentes. Les hurlements de joie des sikhs qui menaient, pieds nus, la sarabande sur ce tapis rougeoyant lui glacèrent le sang. Pour ce peuple, le feu purifie tout, est bénéfique et mène au paradis, de sorte que ces hommes qui faisaient allègrement brûler le palais d’Été étaient persuadés d’accomplir un rituel salvateur.
    —  Ces sikhs sont vraiment d’une efficacité redoutable, ne put que constater Grant devant la disproportion entre la taille gigantesques des portes et celle des hommes minuscules qui les transportaient en ahanant, avant de les jeter, d’un coup de rein, dans les flammes crépitantes. Il faudrait proposer à notre ministre de la Guerre d’en faire un corps d’élite…
    Grant, songeur, parlait le plus sérieusement du monde.
    —  Vous avez toujours d’excellentes idées mon général ! Il suffirait de dresser ces petits diables d’Indiens comme des chiens d’attaque… renchérit, d’un air entendu, son compère en illustrant son propos d’un léger coup de cravache sur le plat de sa paume.
    Grant éclata d’un petit rire nerveux.
    À cet instant, s’il se fût écouté, John Bowles eût copieusement injurié les deux hommes. Craignant de ne pas réussir à se contenir, le dessinateur chroniqueur de presse, à bout de patience, abandonna le général en chef et son adjoint à leurs assauts d’humour douteux.
    Pour calmer ses nerfs, avisant la Tour du Parfum de Bouddha qui continuait à dominer le Palais d’Été du haut de ses quarante mètres, il décida de monter tout en haut, en espérant que ce fût encore possible.
    D’un pas lourd, la tête bourdonnante et s’attendant au pire, il commença à gravir les marches. Par bonheur, l’imposante pagode de quatre étages de style tibétain avait été protégée par sa situation : on ne pouvait y accéder que par une série d’escaliers particulièrement raides devant lesquels les soudards avinés avaient calé les uns après les autres…
    Arrivé au dernier étage du sanctuaire, il s’accouda au balcon qui ceinturait la plate-forme supérieure. Une douce odeur d’encens imprégnait encore les statues des arhats devant lesquelles les pieux lamas accomplissaient leurs prières avant de déserter les lieux, au moment où les troupes alliées avaient fait irruption. Accablé, John contempla le paysage chaotique et dévasté qui s’étendait sous ses yeux à perte de vue. Malgré le froid ambiant, la chaleur dégagée par les incendies rendait l’air étouffant, irrespirable et angoissant. Des grappes d’explosions, tantôt terribles tantôt assourdies, déchiraient l’inquiétant brouhaha provoqué par la ronde infernale des incendiaires et des pillards. De l’admirable pont des Dix-Sept Arches sur lequel les empereurs aimaient se promener sans escorte, il ne restait plus que deux piles qui surgissaient, tels des moignons pathétiques, des eaux noirâtres du plan d’eau.
    Ce qu’on appelait hier encore le Paradis Terrestre des Collines de l’Ouest,
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