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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete
Autoren: Jose Frèches
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souffrir sans tuer trop vite. Leurs bourreaux étaient devenus des ingénieurs ès supplices auxquels on devait des méthodes d’achèvement aussi diverses que celle de la gangue, une sorte de potence où la pendaison prend des heures, de la goutte d’eau qui tombe pendant des semaines sur le crâne et rend fou le supplicié, persuadé qu’on lui donne des coups de marteau, ou encore celle des Mille Couteaux, ce lugubre et pervers cérémonial au cours duquel le condamné est méticuleusement pelé comme un oignon.
    Son article occuperait une double page. Celle de gauche pour la cérémonie anglaise et celle de droite pour la cérémonie française. Ainsi il n’y aurait pas de jaloux. Même si le North China Weekly avait un lectorat d’origine essentiellement anglo-saxonne, Bowles ne désespérait pas d’étendre l’influence de son organe à la communauté française puisque celle-ci ne disposait pas encore d’un journal.
    À l’issue de l’éloge funèbre vibrant mais bref prononcé par le colonel de Bentzmann, Bowles vit s’avancer Mgr Joseph-Martial Mouly, coiffé de sa mitre et qui tenait un goupillon avec lequel il se mit à bénir les cercueils.
    C’était la première fois depuis quinze ans que l’évêque français de Pékin avait été autorisé à pénétrer dans son diocèse. Il est vrai que le prélat jouissait d’une telle aura que le prince Gong {71} en personne, frère cadet de l’empereur Xianfeng et l’un des rares hommes d’État éclairés de la cour mandchoue, l’avait supplié de servir d’intermédiaire entre le pouvoir mandchou et les alliés. C’était d’ailleurs pour cette raison que Mgr Mouly était arrivé à Pékin cinq jours plus tôt.
    Bowles avait décidé de consacrer un encadré au portrait de cet homme à la vie digne d’un personnage de roman ou d’un agent secret dont il avait entendu parler à maintes reprises.
    Arrivé en 1834 à Macao, le prêtre lazariste Mouly avait trente-quatre ans lorsqu’il avait été chargé d’évangéliser la Mongolie. Il avait mis huit mois pour se rendre sur place, après avoir traversé la Chine déguisé en malade, le visage quotidiennement badigeonné de thé afin de le jaunir et de passer pour un Chinois. De peur d’être démasqué –   à l’époque, les prêtres étrangers étaient persécutés –, dans les auberges où il faisait halte, cet aventurier trompe-la-mort au caractère doux et calme ne dormait que le visage face au mur ou recouvert d’épaisses couvertures. En 1842, la consécration était venue du Vatican qui lui avait confié l’« évêché » de Mongolie, une charge purement symbolique. Nommé évêque du Zhili Nord en 1856, les autorités ne lui avaient pas accordé l’autorisation d’établir sa résidence à Pékin et il comptait sur la mission du prince Gong pour l’obtenir.
    Malgré tous les dangers qu’il avait dû braver pour en arriver là, cet homme avait la revanche modeste et ce n’était pas ce trait de caractère qui fascinait le moins John Bowles, lequel avait pu s’entretenir avec lui pendant un bon quart d’heure avant le début des funérailles.
    Frénétiquement, il se mit à dessiner les contours du visage émacié et glabre de cet agent secret du Christ, puis sa bouche d’ascète, amincie et blanchâtre sous des pommettes en saillie. Avec ses yeux légèrement plissés, auréolés de fines ridules comme un vieux soleil –   l’infaillible marque de ceux qui ont l’habitude de marcher contre le vent – Mgr Mouly, qui aimait sincèrement les Chinois, avait même un petit côté autochtone, comme si ses tribulations en Chine avaient contribué à siniser cet extraordinaire missionnaire.
    Au bout d’une heure, la main de John tremblait de fatigue lorsqu’il acheva son reportage en croquant la transmission du goupillon entre l’évêque héroïque et le vainqueur de Palikao par laquelle s’achevaient ces funérailles, chacun étant à présent invité à bénir les lugubres bières qui attendaient leur mise en terre. Il n’avait même pas achevé son dessin qu’il en avait déjà imaginé la légende : Sous les yeux rougis des soldats français, l’émouvante réunion du sabre et du goupillon.
    Il achevait de ranger son travail dans le carton qu’il portait toujours en bandoulière et s’apprêtait à quitter le cimetière lorsqu’il s’entendit héler.
    C’était la voix du général Grant, venu, comme si de rien n’était, traîner ses guêtres
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