Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete
Autoren: Jose Frèches
Vom Netzwerk:
 
    29
     
    Pékin, Cité Interdite, 21 juin 1847
     
    Les rayons jaune d’œuf d’un soleil qui semblait peser, à force de luire, sur les moulures dorées « façon Versailles » du salon privé de Première Concubine Céleste éblouirent le vieil eunuque Toujours Là lorsqu’il y fit son entrée, perché sur ses cothurnes et nimbé d’un capiteux parfum au musc. Du sol au plafond, la pièce où la vieille courtisane passait ses journées à écouter les ragots des uns et des autres suintait le mauvais goût : depuis ses gigantesques meubles pompeux et chantournés, beaucoup trop massifs vu l’espace disponible, jusqu’à cette ridicule profusion de miroirs qui n’avaient de vénitien que le nom, sans oublier les fauteuils de style Louis XVI mal interprété et tape-à-l’œil, commandés à un ébéniste moldave par le tsar de Russie et dont l’empereur n’avait pas voulu pour le palais d’Été. Le simple fait de traverser cet improbable bric-à-brac était un périlleux parcours d’obstacles.
    —  Madame Première Céleste cherchait à me voir   ? fit le castrat hors d’âge, plutôt inquiet car il connaissait parfaitement le motif de sa convocation.
    Le corps de Première Concubine Céleste, cabossé comme une vieille carriole par des années de soumission à l’empereur, était calé par des coussins de soie dans un canapé ventru aux montants de bois de rose, plaqués d’épaisses guirlandes, cadeau de l’Empire ottoman, essentiellement destiné à épater le Fils du Ciel. Dès qu’elle aperçut, démultipliée par les miroirs où elle avait si souvent – jadis !  – contemplé sa beauté, la silhouette de son visiteur qui tanguait sur ses socques, la plus ancienne maîtresse de l’empereur de Chine explosa :
    —  Toujours Là, je compte sur vous pour faire quelque chose ! Cette abominable Sibérienne est revenue, et l’on me dit que le Fils du Ciel veut revoir l’enfant que cette diablesse lui a fabriqué !
    Des yeux fardés de Première Concubine Céleste jaillissaient des éclairs de colère. Elle avait été superbe – c’était obligatoire, pour atteindre le grade qui était le sien –, mais la peau fripée de son visage l’obligeait désormais à user d’épaisses couches de maquillage. Malgré les soins prodigués par les esthéticiennes affectées à l’entretien des pensionnaires du Gynécée Impérial, elle faisait plus que son âge. Il faut dire que passer son temps à intriguer pour être celle que l’empereur choisirait de venir visiter en s’arrangeant pour que ce fût en période féconde, puis, une fois cette première bataille gagnée, se gaver de nourriture Yang et courir tous les magiciens et rebouteux de Pékin pour éviter à tout prix le malheur d’une fille, vous stressait à un tel point que vous vieillissiez plus vite que la normale…
    —  Je suis au courant, Première Céleste. Vous m’en voyez tout aussi accablé que vous… gémit l’eunuque.
    —  J’espère en tout cas que le nécessaire a été fait pour que ce bâtard disparaisse à jamais ! lâcha Première Concubine en frappant du poing avant de se lever puis de se diriger tant bien que mal vers la fenêtre sur ses pieds en miettes qui tenaient dans de minuscules chaussures à la semelle brodée au fil d’or.
    La vue de ce jardin à la française planté de buis taillés au cordeau et dessiné un siècle plus tôt par le père jésuite Attiret {1} , à laquelle elle avait droit depuis qu’elle avait atteint le plus haut grade de la hiérarchie des courtisanes impériales, était bien la seule chose qui l’apaisait.
    —  J’ai fait ce que j’ai pu, malgré la défection du prince Tang… Souvenez-vous, ô Première Céleste, c’est lui que nous avions chargé de ladite besogne.
    —  Je sais. Eh bien, si ce diable de Tang a trahi, mort aux traîtres ! Ah, il ne manquait plus que ça !
    —  Quoi, Première Céleste   ? ne put s’empêcher de demander Toujours Là en bafouillant.
    Il frissonna. En présence de la première concubine, qui attaquait souvent par surprise, il valait mieux être sur ses gardes.
    —  Rien ! Mon doigt ! pesta-t-elle.
    En frappant le rebord de la fenêtre, Première Concubine Céleste venait de perdre au passage l’ongle enroulé sur lui-même, tellement il était long, de son auriculaire. Toujours Là, quelque peu rassuré, se garda bien de relever.
    —  Nous voilà dans de beaux draps ! Yixin {2} , mon garçon chéri, risque
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher