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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete
Autoren: Jose Frèches
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n’était plus qu’un désolant amas de ruines et d’arbres calcinés.
    Sic transit gloria mundi…
    En faisant brûler le Palais d’Été, le diabolique lord Elgin avait fait d’une pierre deux coups : il punissait les Mandchous en même temps qu’il effaçait les traces des exactions inouïes commises dix jours plus tôt par les soldats français et anglais. Ni vu ni connu. Pas vu pas pris. Fort astucieusement, Elgin avait tablé sur le fait que personne ne saurait jamais rien de ce qui s’était réellement passé au Palais d’Été. Pour le plénipotentiaire anglais, l’honneur de l’Occident pacificateur qui, sous prétexte de lui donner une bonne leçon, venait d’infliger à cette malheureuse Chine la plus terrible humiliation de son histoire, resterait sauf…
    Sauf que Bowles, à l’instar du photographe Felice Beato, avait assisté aux pillages et que les deux hommes étaient bien décidés à témoigner de ce qu’ils avaient vu.
    Il faut toujours se méfier des journalistes…
    Lorsque, au bout d’une heure et la gorge en feu, il regagna les berges du lac Kunming, notre pauvre John avait l’impression de redescendre dans les enfers.
    Il s’affala sur la berge. À contre-jour, en ce milieu d’après-midi, les alignements des toits des maisons basses du voisinage se perdaient dans les nuages de fumée qui obstruaient le ciel.
    Son regard se posa sur une boule de feu dont il lui semblait, malgré la distance qui l’en séparait, percevoir la chaleur, tellement elle était incandescente.
    Il se leva et, comme attiré par un aimant, se mit à marcher vers elle.
    Juste devant les fondations calcinées d’un pavillon d’agrément, une magnifique statue de Bouddha en bois de santal brûlait comme une torche.
    Le spectacle de la divinité au sourire pacifique dévorée par les flammes d’un enfer qu’elle ne méritait pas le fit éclater en sanglots. Il enrageait devant une telle injustice. L’image de cette saisissante beauté en train de s’évanouir était à la fois choquante et envoûtante. A tout prix, il lui fallait la conserver car elle suffisait à résumer la tragédie qui se déroulait au Palais d’Été. Ce Bouddha enflammé était le témoignage choc que Bowles voulait conserver pour le transmettre aux générations futures. Il lui fallait absolument dessiner ce Bouddha avant que son beau visage impavide, serein et calme, à présent inondé par de brûlantes larmes de sève, ne se fût évanoui dans le néant des flammes. Il lui restait deux ou trois minutes, tout au plus, pour mener à bien sa tâche car le bois de santal brûlait comme de l’amadou.
    En toute hâte, il fouilla dans la poche extérieure de son manteau pour y trouver la mine de crayon grasse qui ferait l’affaire.
    C’est alors qu’il tomba sur l’étui à pinceau de la Pierre de Lune.
    Persuadé que cet objet chargé de symboles l’aiderait dans sa tâche impossible, il le plaça dans la poche intérieure de sa veste, contre son cœur.
    Il se concentra, prit son élan et s’acharna en quelques traits, tandis que l’image de son modèle apparaissait sur la page de son carnet, d’une beauté stupéfiante, presque insoutenable… Grâce à l’étui de La Pierre de Lune dont il sentait contre sa peau les palpitations, il avait réussi à capter la tristesse qui émanait du visage de cette belle statue en train de mourir.
    Il en avait déjà trouvé la légende : Même le Bienheureux Bouddha était en larmes…
    En le publiant en première page du North China Weekly , il ferait de ce portrait le témoignage aussi admirable qu’irréfutable du crime monstrueux commis par la France et l’Angleterre contre une civilisation millénaire rendue impuissante par l’aveuglement et la naïveté de ses chefs suprêmes.
    Après avoir levé son crayon gras et rangé son dessin dans sa sacoche, il décida de sortir du Palais d’Été pour échapper au spectacle de ces splendeurs dévastées et réduites en cendres, de ces murs calcinés qui tombaient en miettes, de ces arbres centenaires massacrés par les flammes. Mais auparavant, il lui restait une dernière tâche à accomplir. D’un geste assuré et précis, John sortit de sa poche l’étui à pinceau de La Pierre de Lune et le jeta dans les flammes rougeoyantes où la merveilleuse statue achevait de se consumer.
    Car à l’issue de cette journée passée dans l’enfer du Palais d’Été en flammes, il venait de prendre sa décision. Et elle était
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