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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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Fasciné, je l’écoute me parler de ces endroits mystérieux, où, tapis dans l’ombre de deux lampes posées sur un bar, des hommes et des femmes se frôlent et s’épient.
    — À chaque bouchon de champagne qui saute, me dit François, c’est un bouton de braguette en moins.
    Il me dit cela quand j’ai grandi, quand j’ai compris que les histoires d’amour ça commence et ça finit toujours pareil.
    Il va chez Fysher, le cabaret de la rue d’Antin, où il faut être vu absolument. Il sait que sa réussite dépend peut-être d’une coupe offerte à la délicieuse, mais plus très jeune, épouse d’un chef de cabinet en mission à l’étranger.
    — La fin justifie les moyens. Tous les Rastignac savent cela.
    Il en sait des choses François !
    Chez Fysher, Georges Van Parys accompagne au piano M lle  Gaby Montbreuse qui relève ses jupes et chante des refrains bêtes comme ses pieds.
    Il y a aussi la blême Yvonne George qui fait pleurer le prince de Galles, en interprétant des mélos où il est question des malheurs des filles à marins dans les ports de l’Atlantique.
    — Devine qui j’ai connu ce soir ? Émilienne d’Alençon. Elle m’a même passé le bras autour du cou dans un moment d’abandon. Dire que nos pères étaient fous d’elle !
    François avait un irrésistible besoin de séduire. Il était amoureux de Lucienne Boyer.
    — Un sourire d’elle et je suis capable du pire.
    L-u-c-i-e-n-n-e B-o-y-e-r, ces treize lettres mises bout à bout forment le premier nom majuscule d’une longue liste : celle de ma mélancolie personnelle.
    Mon cousin dut attendre quinze ans avant de voir venir à lui l’objet de sa passion dévorante. Entre-temps, Lucienne s’était épanouie sur toutes les scènes du monde.
    L’Amérique lui rendait des honneurs, réservés d’habitude aux chefs d’État.
    Mais à Vichy, ce jour-là, elle n’avait pas d’autre souci que de faire libérer son mari, le chanteur Jacques Pills, prisonnier des Allemands.
    François fit le nécessaire. Mais il n’osa pas lui avouer qu’il s’était battu pour ses yeux bleus un soir, rue d’Antin, avec l’homme qui la séquestrait.
    Au lieu de terminer son droit, mon cousin perdait la tête pour une chanteuse, s’enthousiasmait pour Briand, et honorait une femme de ministre. Il entrait et sortait, avenue de Ségur à n’importe quelle heure de la nuit, insouciant des convenances bourgeoises.
    — Je me vois obligé de te rappeler que mon appartement n’est ni un moulin à vent, ni un hôtel lui disait mon grand-père. Tu es le fils de ma fille, d’accord, mais n’en abuse pas.
    François surveillait ses horaires, pendant deux jours, et reprenait ses habitudes.
    — Ça sent la monarchie qui se décompose, ici, clamait-il en arpentant le long couloir qui conduisait à nos chambres.
    Un matin qu’il se sentait de taille à affronter les foudres du comte, il entonna une vibrante Marseillaise.
    Cette fois, c’en fut trop. La reconnaissance du sang a des limites.
    Malgré l’intervention de Valentine, François se retrouva dehors.
    J’en ai voulu à mon grand-père. Je lui ai même reproché de n’avoir pas de cœur.
    Certain de l’avoir fâché, j’attendais sa réaction, mon regard planté dans le sien, comme il convient de le faire dans ce genre de circonstance.
    Imprévisible, il s’est penché vers moi pour m’embrasser le front. Il m’aimait.
    — Tu viens de me faire de la peine, petit.
    Sa voix s’était faite douce. Tremblante même.
    L’instant avait quelques chose de solennel. Il ne me restait plus qu’à pleurer. Il ne m’en laissa pas le temps. Se reprenant brusquement, il prit mon menton dans sa main et me déclara tout net :
    — François ne se lave pas les cheveux assez souvent, tu comprends !
    Non, je ne comprenais pas. J’ai pourtant dû me contenter de cette explication.
    Je me suis ennuyé longtemps de François.
    On peut s’étonner que je mentionne précisément un 14 décembre. Il fut celui de mon premier pantalon. Mais ce genre de précision n’intéresse, généralement, que très peu de monde. On est si blasé de nos jours ! Même si j’ajoute que ce 14 décembre-là marque aussi la date anniversaire de la mort de Radiguet, je trouverai toujours un imbécile pour me ricaner au nez qu’il ne voit pas le rapport.
    Heureusement, je ne me laisse pas influencer. Je note la coïncidence, c’est tout.
    Pour l’occasion, Maurice Sachs s’était provisoirement
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