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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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lui…
    Cette idée grossière ne m’inspirait pas. Lui la trouvait amusante.
    — Il faut avoir l’audace d’affronter le mensonge de face. La vérité se cache derrière, me dit-il.
    M. Maurice avait toujours une citation en réserve.
    J’en conclus que, dans la vie, je devais m’attendre à tout, y compris à voir un matin ma grand-mère s’en aller, sans remords, avec le facteur.
    — L’avenir de cet enfant, y avez-vous songé, Valentine ?
    L’avenir, on ne s’en préoccupe pas à treize ans. Savoir d’où je venais m’importait davantage. Selon mon habitude, j’avais l’oreille collée à la porte entrebâillée du bureau de mon grand-père.
    Pour certaines décisions me concernant, il convoquait sa femme afin de prendre son avis. Comme il n’en tenait aucun compte, j’avais de sérieuses raisons de m’inquiéter.
    — Rien ne presse, il est jeune encore.
    — Lui, oui, mais moi, il y a longtemps que je ne le suis plus ; mon devoir est de lui indiquer le chemin à suivre.
    L’heure était grave. Je comprenais bien que mon sort pouvait dépendre de cette entrevue.
    Valentine s’enhardit :
    — Je sais son désir. Il a dit à Max Jacob : « Je veux être poète, comme vous. »
    — Et vous avez l’air de trouver cela plaisant ! hurla mon grand-père. Poète ? Mais qu’est-ce que cela veut dire, poète ?
    J’avais abandonné ce projet depuis plusieurs mois en pensant que le mieux serait d’être comte tout simplement.
    Mais je jugeais plus prudent de ne pas me manifester d’autant que je me trouvais en situation irrégulière.
    — Si je ne prends pas en main sa destinée nous courons à la catastrophe… Aujourd’hui poète, demain si vous le ramenez chez M lle  Sorel, il décidera sûrement de devenir comédien, pourquoi pas, et après-demain, si le malheur veut qu’il croise un maquereau, me voilà déshonoré.
    L’expression « croiser un maquereau » ne me parut pas très claire.
    Valentine ne pouvait plus rien pour moi.
    Discrètement, elle quitta le bureau de son mari, de la même façon, je regagnai ma chambre.
    Le verdict est tombé le soir, au cours du dîner :
    — J’ai beaucoup réfléchi, mon fils, tu seras militaire, c’est ce qui peut t’arriver de mieux. J’en parlerai à Maurice, il m’approuvera sûrement. C’est un homme de bon sens, lui.
    Ce n’était pas très bon signe, quand mon grand-père se référait à Maurice.
    Le comte brandit à tout instant L’Action française comme une menace, mais finalement, je le répète, c’est un bon comte, de cette bonne vieille droite libérale qu’il inventa – je l’ai dit – pour sa commodité.
    Je grandis heureux. J’embête la bonne, comme le font les gosses de riches. Elle me traite de voyou.
    Mauvaise tête, mais gentil au fond, je ne la dénonce pas. François me l’a interdit.
    Mon cousin s’était approprié un bureau vide au Quai d’Orsay. Paré du titre d’attaché d’ambassade, il s’était risqué de nouveau avenue de Ségur. Il obtint sans mal le pardon qu’il venait chercher et l’autorisation de m’emmener pour la journée.
    — C’est un miracle de la diplomatie, me dit-il.
    J’étais persuadé, pour ma part, que ses cheveux propres et bien coiffés n’y étaient pas pour rien.
    À peine arrivé sur le Champ-de-Mars, François m’assura que j’étais mal élevé, que la comtesse me couvait comme une poule mouillée, que je ne savais rien de la vraie vie et que M. Sachs était une pédale.
    Là-dessus, il m’entraîna au Vel’ d’Hiv’, où, dans une odeur de frites, de sueur et de bière, le peuple de Paris se défoulait au son de l’accordéon.
    — Écoute battre le cœur de la France, me dit-il. Écoute-le vibrer et mets le tien à l’unisson. Il n’y a pas de place, ici, pour les petits-fils de comte.
    Abasourdi de musique et de cris, j’écarquillais les yeux.
    Sur une piste ronde, en forme de cuvette, des hommes coursaient à vélo. La foule en fête ne dissimulait pas sa joie.
    Sur les gradins, des ouvriers en bras de chemise embrassaient goulûment des filles en jupes à fleurs.
    Je découvrais, ravi, ceux dont mon grand-père me dira avec dédain : « Ils sont les fils de Léon Jouhaux. »
    François, qui les aimait, voulait leur rester fidèle. Avec eux, il acclama Léon Blum et Maurice Thorez mais, quelques années plus tard, entonna Maréchal, nous voilà ! aussi fort qu’il avait chanté L’Internationale.
    Lorsque mon grand-père
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