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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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mathématiques, avec une demoiselle aux dents jaunes, alors que dans le sillage de Valentine j’apprenais la vie ?
    Sachs m’avait appris à lire. Mon grand-père à écouter.
    Je peux dire sans me vanter que je n’étais pas bête. Les grandes personnes ne se méfiaient pas de moi. Elles avaient tort. On ne se méfie pas assez des enfants. Je ne crois pas à leur innocence. Je suis sans doute sévère mais je sais de quoi je parle.
    Ai-je vraiment cru au père Noël ? Cela m’étonnerait fort. Ou alors, je faisais semblant. Décevoir ne me plaît pas.
    Mon cousin François m’avait prévenu : « Dieu n’existe pas, c’est une invention de Claudel ! »
    Mon grand-père le pensait également. De ce côté-là donc, pas de problème. Avec leur bénédiction, j’ai moins fréquenté les églises que les bordels. Les messes que célébrait Ginou, rue de Châteaudun, éveillent en moi, aujourd’hui encore, des souvenirs frémissants…
    Mon côté bourgeois, pas vraiment sorti des jupons de la comtesse, plaisait beaucoup à ces dames peintes de la tête aux pieds, aux couleurs de l’arc-en-ciel.
    Ginette, surnommée Ginou, avait mis au point une méthode de séduction qui parvenait à enhardir ses clients les plus timides.
    Affublée de quatre ou cinq jupes superposées un peu plus courtes l’une que l’autre, de talons hauts vernis rouge, d’un corsage de soie muni de vingt-sept boutons (je les ai comptés), castagnettes en main, elle improvisait un turbulent flamenco qu’elle ne consentait à interrompre qu’une fois nue.
    Le grand art consistait à la déshabiller sans défaillir prématurément.
    Je ne parvenais pas toujours à contrôler ma fougue, aussi me jugeait-elle sévèrement. « En amour, bébé, me disait-elle, il faut savoir être gourmet. Tu te goinfres avec les hors-d’œuvre et tu n’es plus capable, après, d’apprécier le plat de résistance. »
    L’habitude aidant, il m’est arrivé, quelquefois de goûter au plat de résistance. C’était, je dois le dire, de la haute gastronomie, assortie d’une leçon de gymnastique parfaitement au point.
    Ginou ne désespérait pas de réussir à former le syndicat des pensionnaires de maisons closes. Quand un député lui tombait sous les draps, elle n’hésitait pas à l’entretenir de ses projets.
    — Dans ma chambre, me disait-elle, ils sont tous d’accord avec moi. Une fois revenus dans la leur, ils oublient ce qu’ils m’ont promis. Ah ! les salauds !
    Elle était superbement vulgaire !
    Seules les femmes vulgaires m’attirent. Vous savez, celles qui laissent l’empreinte de leur rouge à lèvres sur des cigarettes blondes qu’elles dégustent comme un sexe. Les autres ressemblent à ma mère. Celle que je reconnaîtrais sûrement si je la rencontrais par hasard.
    Ginou inventait pour moi des complications à l’amour. Je l’aimais bien mais elle était quand même trop menteuse à mon goût.
    Je ne suis plus retourné la voir à partir du jour où elle m’a dit « T’es tout le portrait de ta mère, toi. »
    Elle était encore allongée sur le lit défait, les jambes écartées, les cheveux éparpillés.
    Je finissais d’enfiler mon pantalon. Elle me dévisageait tendrement. J’ai eu honte tout à coup. Pris en faute, je l’ai regardée méchamment comme un homme regarde une femme après l’avoir soumise parce qu’il lui en veut d’en savoir trop.
    Ginou a compris qu’elle m’avait fâché en voulant être gentille.
    Et d’abord comment pouvait-elle savoir que je ressemblais à ma mère ?
    — J’ai dit cela, comme ça, histoire de causer… pas pour te faire de la peine.
    Pour bien lui montrer que je ne croyais pas un mot de son allusion j’ai même ajouté :« Ma mère est une personne importante en Amérique du Sud et elle emmerde les putes ! »
    J’ai l’âge de Roméo. Sachs m’explique ce qu’est une pédale. J’ai déjà ma petite idée là-dessus.
    À Jeanson, le soir après l’étude, un pion me parle de Rimbaud. Ça commence par « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », etc.
    Ce pion-là m’aime bien. Il a remarqué que Cocteau vient parfois m’attendre au coin de la rue de Longchamp et de la rue de Passy. Il me paye des limonades et je lui raconte tout. Ça le fait rire.
    À propos de mon pion, il s’exclame :
    — Ah ? le bel alibi littéraire ! Il ira loin ce jeune homme si on ne l’arrête pas avant pour détournement de mineur !
    Le comte ne
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