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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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m’interroge :
    — Et toi, mon garçon, que feras-tu plus tard ?
    Valentine, aussi surprise que moi, s’attend au pire.
    — Poète, je serai poète comme vous, monsieur le préfet.
    Je réponds cela pour qu’il soit content.
    — C’est une mauvaise idée… une très mauvaise idée. Les poètes sont des pauvres gens bien obligés de se faire inviter à déjeuner par les dames.
    Je suis vexé et décide qu’il ne sert à rien d’être aimable.
    Valentine s’esclaffe et réclame l’addition.
    Dans le taxi qui nous ramène avenue de Ségur, je lui demande pourquoi on dit « monsieur le préfet » à un poète. Elle rit.
    Je déteste et les poètes et les préfets.
    Sur les cartes postales ocre de ce temps-là, que vous regardez parfois en rangeant vos tiroirs, le petit garçon en col marin, les chaussettes bien tendues, poussant un cerceau de bois blanc, sachez-le ce n’est pas moi… J’ai d’autres clichés à vous proposer. Celui-là par exemple : Deauville 1925. Encore bien fréquenté. Les planches balayées par le vent du Nord, un peu frais pour la saison, mais tellement vivifiant pour les bronches. L’automobile du comte garée devant l’hôtel Normandy. Et moi quelque part dans les parages.
    C’est Lucien, le fils de notre concierge, qui nous conduisait à Deauville, quatre fois l’an.
    Lucien était un petit gars plein de bonne volonté. Il faisait la fierté de sa mère, une brave femme, toujours prête à rendre service. Mécanicien la semaine, c’était un honneur pour lui que de coiffer la casquette bleu marine que mon grand-père lui avait imposée.
    C’était une récompense pour moi que de monter à côté de lui.
    Cela n’avait pas l’air de le gêner d’être pauvre. Je lui parlais gentiment. Valentine aussi.
    Il voulait faire un beau mariage avec une fille de famille. Il ne savait pas que sa casquette compromettait ses chances.
    Tandis que le comte se risquait à la roulette, Valentine m’entraînait sur les planches (parmi les dames qui retiennent leurs chapeaux). On mangeait des gaufres au sucre. Je me lavais les mains dans la mer.
    En nous attendant, Lucien organisait sa nuit.
    Je partageais sa chambre, à l’hôtel Normandy.
    — Cela fera moins de frais, et tu ne seras pas seul, avait décidé mon grand-père.
    Je n’y voyais pas d’inconvénient. Je trouvais bien de m’endormir en interrogeant Lucien sur l’amour et les femmes.
    J’étais réveillé, quelquefois, par des soupirs aigus, des murmures étouffés sous les draps. Je retenais ma respiration.
    Lorsque je lui demandais des explications, Lucien me persuadait que j’avais rêvé.
    C’est vrai, j’avais beaucoup d’imagination.
    Pour se rendre intéressant, un jour, il m’a juré que les soupirs appartenaient à l’une des Dolly Sisters, et que, par bonté d’âme, il avait laissé l’autre dans les bras musclés de Douglas Fairbanks, l’acteur de cinéma.
    Je ne l’ai pas cru.
    Et moi, me croira-t-on si je raconte que Pola Négri a glissé ses doigts blancs dans mes cheveux blonds, au cours d’une réception chez la duchesse de Guermantes ?
    Si je dis qu’elle était belle comme un orage, triste aussi comme un dimanche de novembre, on blaguera mes emportements de jeune homme. Rien de plus. Et pourtant je la revois la « Du Barry d’Hollywood » (c’est ainsi que les journalistes l’avaient baptisée), une fleur de gardénia piquée sur son tailleur noir.
    Elle refusait de guérir de la chaude blessure que Rudolf Valentino lui avait laissée au cœur.
    — J’ai voulu regarder l’amour au fond des yeux, et j’y ai trouvé le visage de la mort, disait-elle.
    Elle n’était pas simple.
    En me couvant du regard, elle pleurait intérieurement l’auteur de L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme.
    Je pourrais parler, à ce propos, de mon irrésistible pouvoir de séduction. Vous remarquerez que je ne le fais pas. Je dis seulement : Pola Négri a glissé ses doigts blancs dans mes cheveux blonds. Ça ne l’engageait pas beaucoup, j’en conviens.
    Et, d’ailleurs, cette duchesse de Guermantes, était-ce vraiment la duchesse de Guermantes ?
    Pola Négri fut-elle vraiment la maîtresse de Lénine ?
    On peut douter de tout.
    Maurice Sachs, lui, ne doutait de rien. Il m’avait dit :
    — Tout ce qu’on invente est vrai.
    Je refusai donc de rédiger la composition française qu’il me proposa : Valentine tombe amoureuse du jeune facteur. Un matin, elle part avec
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