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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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sévère et digne, beau comme un comte, je n’ai pas imaginé qu’il s’en allait défendre ses idées.
    Nous étions le 6 février 1934.
    Il croyait avoir mis un point provisoire à ses Mémoires.
    C’était un point final.
    Heureusement il m’avait embrassé.
    Tandis que Paris se couvrait de honte et de sang, je baladais ma jeunesse quelque part loin du pont de la Concorde sur lequel, à la tête d’une meute de vieillards séniles, mon grand-père est mort pour faire plaisir à M. Maurras qui lui, dormait.
    Lorsque je suis rentré tard, cette nuit-là, Valentine était veuve et moi orphelin. Une fois de plus.
    Elle pleurait doucement dans les bras de la bonne qui disait, comme toujours : « C’est de la faute du gouvernement. »
    J’étais anéanti par mon premier désespoir d’homme. Peu m’importait de savoir qui avait raison ou tort.
    Je suis allé prévenir François, qui se réjouissait que la république ne soit pas tombée.
    Il ne savait pas encore à quel prix !
    Je l’ai trouvé trinquant avec ses amis à la santé de Camille Chautemps.
    Sans ménagement je lui ai jeté l’affreuse nouvelle à la figure. Pour m’en débarrasser un peu, pour l’obliger à partager une douleur trop lourde pour moi.
    — C’est une mort grandiose qui lui ressemble bien, me dit-il en maîtrisant sa colère et son chagrin mêlés.
    Il me tenait par les épaules solidement planté devant lui. Impuissant je subissais sa force. Sa sérénité m’apaisa.
    La nuit fut longue. Valentine avait vingt ans de bonheur à réviser. Elle me disait seulement :
    — Il t’aimait beaucoup, tu sais !
    Oui, je le savais, mais j’aurais voulu en savoir plus.
    La concierge faisait du café frais.
    François faisait face aux circonstances.
    Pendant deux jours, je suis resté enfermé dans ma chambre. Je n’ai pas eu le courage de veiller le comte, ni même d’aller l’embrasser une dernière fois.
    J’ai étrenné un costume noir tout neuf. Valentine a remis sa voilette. François nous donnait le bras.
    Nous n’étions pas nombreux derrière le corbillard. Lucien et sa mère avaient vraiment de la peine.
    La demoiselle aux dents jaunes et notre bonne fermaient la marche.
    Comme d’habitude, Sachs est arrivé en retard au cimetière.
    — C’est un héros qui s’en va, a-t-il dit à la comtesse.
    Piteuse consolation. Ils furent quinze à mourir pour la même cause imbécile.
    Maurras, Pujo et Daudet avaient d’autres chats à honorer de leurs présences. Ce jour-là, ils enterraient un héros du 6 février, plus représentatif.
    Le géant de mon enfance faisait un bien petit mort pour l’histoire. Trois lignes dans L’Action française.
    François s’est installé avenue de Ségur. Sa présence nous rassura. Il fut parfait.
    Sans rancune, Valentine, qui n’entendait rien à la politique, laissa venir à elle les républicains maudits par feu M. le comte.
    Ils étaient les amis de François. Ils devinrent les siens et les miens.
    Je m’efforçais, plus particulièrement, de témoigner ma vive sympathie au chef de cabinet du ministre de la Guerre. C’était un gros homme au teint couperosé, qui faisait du bruit en mangeant sa soupe.
    — Mieux vaut faire envie que pitié. Pas vrai, pote, me disait-il en m’envoyant de grandes tapes dans le dos.
    Il venait dîner le quatrième mercredi de chaque mois.
    Valentine s’amusait à l’entendre contrefaire la voix de Raimu.
    Moi, j’avais décidé de le trouver drôle, quoi qu’il fasse. Il l’était souvent. J’avais compris qu’en applaudissant à tous ses propos, j’obtiendrais sans difficulté ma réforme militaire. Je n’avais jamais sérieusement envisagé de faire carrière dans l’armée, ni même d’accomplir mon devoir national.
    Je trouvais le drapeau français très joli, mais pas au point d’aller mourir pour lui.
    Pour la forme, j’ai prétexté une insuffisance cardiaque fantaisiste.
    — Tu ne manques pas de culot, m’a dit François qui suivait mes manœuvres depuis plusieurs semaines.
    J’entretenais mon amitié avec le chef de cabinet, à grand renfort de rasades d’eau-de-vie de prune, en provenance directe du Limousin, cher à mon cousin.
    Je lui donnais du « monsieur le ministre » à tour de bras. Cela me flattait autant que lui.
    Le ministre, en titre à l’époque, c’était le vainqueur de Verdun, sous les ordres duquel mon père était tombé.
    Mon chef de cabinet s’est d’abord fait prier.
    — Pote,
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