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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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m’a-t-il dit, le maréchal a besoin de petits Français comme toi, et tu n’as pas à t’inquiéter, il n’y a aucun risque de guerre.
    — Raison de plus, ai-je répondu pas convaincu.
    Je doutais de sa clairvoyance. À l’écouter tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il était parfait dans le genre : « Hitler, connais pas, et Waterloo, belle victoire… »
    J’ai fini par le persuader que le maréchal pouvait se passer de moi.
    Un médecin commandant, qui ne voulait pas compromettre son avancement, m’a réformé définitivement. Le comte n’aurait pas été fier de moi.
    J’étais quand même soulagé et, gratitude oblige, je n’ai pas cessé pour autant d’être aimable avec mon protecteur.
    Valentine lui a tricoté des chaussettes.
    François m’a appris que j’étais propriétaire d’un vignoble dans le Beaujolais.
    Mon grand-père avait laissé un testament. Tout allait bien. Je ne serais pas pauvre. Je pouvais retourner tranquille au « Bœuf sur le Toit », installé nouvellement avenue Pierre-1 er -de-Serbie, où Cocteau m’attendait en écrivant sur un coin de table Anna la bonne pour Marianne Oswald, qui jurait tous les matins qu’elle se suiciderait le soir même.
    Des vignobles dans le Beaujolais ! Je n’en avais jamais entendu parler.
    François m’avait dit que ça faisait pas mal d’argent. C’était le principal…
    Le comte était prévoyant. Il m’avait laissé les moyens d’être détestable.
    François, lui, n’avait hérité de rien. Alors il faisait des discours sur les pauvres ouvriers qui ont des fins de mois difficiles.
    J’aimais aller l’écouter. Ça me faisait rire.
    — J’ai été bien, me demandait-il en descendant les escaliers bancals d’estrades improvisées.
    — Magnifique, que je lui répondais quand j’étais de bonne humeur… mais tu aurais dû pleurer à la fin.
    Il se mettait en colère.
    « Petit con, tu n’es vraiment qu’un petit con… »
    Ça se terminait toujours comme ça.
    Quand Valentine avait du vague à l’âme, je l’emmenais déjeuner chez Lipp. On me prenait pour son gigolo.
    Je portais des boutons de manchettes en or, que Jean m’avait offerts pour mon anniversaire.
    Dans le monde que j’abordais avec le détachement hautain des jeunes gens bien nés, je ne pouvais pas ne pas rencontrer Gide. Il revenait toujours de quelque part, et le plus souvent de Tunisie. La première fois que je l’ai vu, c’était chez Cocteau où je débarquais fréquemment à l’improviste. Jean m’a présenté à lui comme un enfant terrible.
    Le bon maître m’a d’abord salué distraitement. J’étais trop vieux pour lui, mais il n’a pas cessé de me dévisager tout en poursuivant sa conversation avec un homme que je ne connaissais pas.
    — Paul, croyez-moi, disait-il, la vérité sort de la bouche des télégraphistes.
    Le Paul en question, qui portait (je l’ai su plus tard) le beau nom de Vaillant-Couturier, écoutait gravement.
    Jean qui s’étouffait pour ne pas éclater de rire m’a entraîné discrètement dans la cuisine.
    — Voilà deux heures que cela dure, me dit-il, son cours sur la vérité est un mensonge de femme du monde.
    Imperturbable, le directeur de l’Humanité, qui n’était pas idiot, concluait poliment :
    — Oui, sans doute la vérité sort-elle de la bouche des télégraphistes.
    Gide se leva, remit son chapeau rond et me dit cette phrase inoubliable : « Au revoir, enfant terrible ».
    Vaillant-Couturier l’aida à enfiler son manteau. Puis il rentra chez lui écrire à la page 237 de son journal : « Cocteau ne sera jamais sérieux. Il s’est moqué de moi pour séduire un jeune homme ».
    Ce même jour, j’ai rompu avec la fille d’un épicier de luxe, prénommée Geneviève, parce qu’elle me demandait si je l’aimais. Question que je jugeais saugrenue. J’ai donc pris la porte sans répondre. Elle a beaucoup pleuré. L’honnêteté m’oblige à avouer que je ne l’aimais pas.
    François, à qui je racontais tout, m’a dit :
    — Tu n’aimes pas les femmes !
    Il se trompait, et, malgré mes fréquentations, j’étais au-dessus de tout soupçon. Je ne les aimais pas comme lui, voilà tout.
    Valentine ne chantait plus depuis longtemps. Aussi, je fus très surpris d’être réveillé tôt pour moi (un matin vers dix heures) par le son de sa voix. Elle fredonnait sur un air de tango :
    Allez Vava, remets-nous ça
Encore un verre, et ça ira
Vas-y
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