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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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Vava, n’hésite pas
Remets-nous ça…
    Cela ne faisait pas très comtesse en deuil.
    Elle y mettait du cœur et de la mélancolie.
    Selon mon habitude, je prenais mon petit déjeuner sur un vieux tabouret de bois, installé au bout de la table de la cuisine.
    Je n’aimais pas parler en me levant. Valentine le savait, aussi attendait-elle que je sois réveillé tout à fait pour s’entretenir avec moi. Le plus souvent la conversation tournait autour de « feu M. le comte ».
    — Un jour je te dirai tout, m’avait-elle promis…
    Ce matin-là, j’ai compris, en la regardant, que j’allais avoir droit à une révélation. Je m’attendais à tout sauf à ça :
    — Il faut que tu le saches, me dit-elle, je ne veux pas laisser à d’autres le plaisir de te l’apprendre, j’étais pute à Senlis quand ton grand-père m’a rencontrée…
    C’était au temps du président Fallières, une main sur le cœur, une main sur les fesses. On l’appelait Vava, ma grand-mère. Pute à Senlis ! Et après ? Il en fallait beaucoup pour me surprendre. Je suis né dans un milieu où l’on ne s’étonne pas facilement.
    Devant ma belle tranquillité, Valentine, rassurée, n’éprouva pas le besoin de se justifier. J’avais pour principe de ne pas me poser de questions inutiles. Ce matin-là, j’étais pressé de régler mes problèmes sexuels. Lucien m’avait promis une solution-miracle, sur le coup de midi au Plaza.
    Je m’éclipsais donc, non sans avoir assuré Valentine de ma tendre affection. Elle pouvait remettre un peu de rose à ses joues, et des couleurs à son corsage. Ce qu’elle fit le jour même.
    J’avais les idées plus larges que le cœur et je trouvais plutôt plaisant d’avoir une grand-mère de rechange, selon l’heure ou la circonstance.
    Je savais bien que les femmes du monde ne sont pas toujours respectables et que la vertu ne s’achète pas au prix d’une couronne de fleurs d’oranger.
    J’avais déjà fréquenté suffisamment de lits pour savoir qu’il n’y a pas forcément de différence entre une pute et une comtesse.
    François était d’accord avec moi. Il avait dans ce domaine une expérience que Don Juan pouvait lui envier.
    Après avoir vérifié les dires de Lucien entre les quatre murs d’une chambre de luxe, au Plaza, j’allai retrouver mon nouveau socialiste de cousin au siège de son parti, cité Malesherbes. Il venait d’obtenir, de Paul Faure lui-même, l’investiture qu’il visait pour les prochaines élections législatives.
    Il rentrait de Limoges où il s’était couvert de gloire en prenant le tête d’une bagarre contre les Croix de Feu. Aussi ne m’écouta-t-il que distraitement.
    Déridé par le Komintern, Maurice Thorez lançait à Léon Blum et à ses amis des œillades qui annonçaient le Front populaire.
    François, bien décidé à se laisser séduire, faisait le beau devant les communistes qu’il avait tort de confondre avec des filles de joie.
    En attendant qu’il finisse d’évoquer ses barricades limousines devant une assemblée de vieux militants, qui en avaient vu d’autres depuis le Congrès de Tours, je parcourais la page des faits divers du Populaire de la veille. Il y était question, sur trois colonnes, du mystérieux assassinat d’un certain Louis Leplée, dont on ne savait rien ou presque sinon qu’il venait de découvrir, rue Troyon, celle qui allait devenir la plus grande chanteuse du monde, sous le nom d’Édith Piaf.
    Ce M. Leplée, qui préférait les marins aux sirènes, paya de sa vie une bordée à voile et à vapeur qui s’acheva dans le sang.
    Il était vêtu seulement d’une combinaison un peu fripée et d’une perruque en paille de riz, son maquillage commençait de se décomposer quand les flics l’avaient découvert mort, jeté sur un sofa, comme une vieille poupée qui fait peur aux enfants.
    La goualeuse qui n’était encore que la « môme Piaf » fut soupçonnée à tort, et lancée du même coup.
    Le soir même, j’entraînais François l’applaudir au « Gemy’s », rue Pierre-Charron.
    — Pas mal, mais elle imite Marie Dubas, me dit-il, laconique. Il avait la tête ailleurs.
    Il se souciait, ce soir-là, à peu près autant des chanteuses que de sa première chemise.
    Je lui parlais de Senlis pour savoir s’il savait. Il me répondit : « Dommage que les femmes ne votent pas ».
    Il était déjà installé dans le siège de député que les électeurs de la Haute-Vienne allaient lui
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