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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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fou qui prétendait être le fils naturel de Mistinguett et de Félix Faure. Il plaisait à notre bonne qui faisait bouillir de l’eau pour ses seringues avec empressement.
    Il me disait : « Tout va bien, les choses évoluent normalement, vous ne serez pas impuissant. »
    Comme je n’avais pas envisagé cette éventualité, il m’inquiétait au lieu de me rassurer.
    Je prenais mes cauchemars pour la réalité. Chaque nuit, j’allais à mon enterrement. Mais j’étais le seul à pleurer sur moi.
    Maurice Sachs m’avait invité à déjeuner chez Maxim’s pour me demander de l’argent. Je lui en ai prêté un peu pour qu’il puisse payer l’addition.
    Le brillant petit Juif qui m’avait appris à lire et à écrire était devenu un gros poisson-chat. Il cherchait quelqu’un pour changer l’eau sale de son bocal.
    Le mercredi, il courait à Meudon se confesser chez Jacques Maritain. Il en avait besoin. Son âme était noire de graffiti obscènes.
    Il avait bien essayé de corriger le brouillon de sa vie en entrant au séminaire. En vain. La main de Dieu s’était posée sur sa braguette.
    — Ne me regarde pas dans les yeux, me disait-il, je ne veux pas que tu en saches trop.
    À trente ans, il avait déjà trahi tous ses amis, Judas même. En Amérique, il avait renié la Vierge, pour épouser la fille d’un pasteur protestant. Il avait été femme de chambre pour des bonheurs de trous de serrure, et conférencier pour les collégiens de Franklin Roosevelt, marchand de tableaux à Paris, critique d’art et bibliothécaire chez Coco Chanel.
    Il était toujours en avance d’une excentricité.
    Je l’écoutais passionnément me mentir avec autorité.
    Il mangeait comme deux, en m’expliquant qu’il avait perdu l’appétit.
    Pour un Henry californien, il faisait cuire des choux-fleurs sur un réchaud à alcool, dans la soupente d’un hôtel de Saint-Germain-des-Prés.
    — Comment ai-je fait pour tout perdre, gémissait-il, moi qui n’avais rien !
    Il lui restait quand même une mauvaise réputation à entretenir et, sur les bras, une pièce comique que Pierre Fresnay venait de lui refuser.
    En me quittant sur le trottoir de cette rue Royale, si peu faite pour les bouffons au chômage, il m’a tendu une main moite que je ne regrette pas d’avoir serrée fort.
    Je lui devais bien ça. Maurice Sachs avait l’importance de mes dix ans retrouvés.
    Je ne pouvais rien pour lui.
    Le mieux aurait été qu’il se suicide ; mais non, il n’avait pas de courage.
    Des quatre coins du monde, le bruit des bottes résonne à l’unisson. Je ne l’entends pas. Il fait beau sur Paris. Je suis amoureux momentanément.
    Au pied d’une tribune dressée place de la Nation, avec François et près d’un million de Parisiens, j’acclame ce Léon Blum dont Daudet prétend méchamment qu’il est un Juif de la pire espèce.
    Sa voix vole. Ses mains fines dansent devant ses yeux. Il a l’air doux. Il chante presque.
    Mon cousin qui va s’installer à l’Assemblée nationale grâce aux 847 voix de majorité que viennent de lui donner les électeurs limousins m’explique que plus rien ne sera comme avant. Je m’en doute un peu. Sur le mur de l’église Saint-Eustache, je lis : les curés espagnols font le lit de Franco.
    Valentine m’attend. Je vais lui raconter ce que j’ai vu et entendu. Les vivats du peuple ne montent pas vers les beaux quartiers.
    On n’habite pas chez sa grand-mère, comtesse de surcroît, quand on est un élu du Front populaire.
    Fonction oblige. François venait d’acquérir, quai de Grenelle, un appartement, à l’élégance discrète, qui convenait parfaitement à son standing socialiste. Il avait pris, à l’heure dite, le train de l’Histoire, dans le sens de la marche. Il fallait que j’en convienne, j’étais resté sur le quai. Aux premières loges, certes, mais sur le quai quand même.
    François était fin prêt pour la grande aventure de sa vie. Je savais bien qu’il ne tarderait pas à trouver l’épouse idéale ; jolie, mais simple, pour illustrer à ses côtés la page inauguration des chrysanthèmes du Populaire du Centre.
    — Tu comprends, me disait-il, l’image de marque c’est important. Il me faudra des enfants vite. Deux au moins. Tu sais, la famille, dans notre vieux pays, ça compte !
    Se souvenait-il, ce François-là, du François des années folles qui noctambulait dans les coulisses du Casino de Paris, la mèche rebelle. Le cœur
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