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Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
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constata que je ne savais pas faire une addition, il insulta la bonne, comme si c’était sa faute, et s’en prit à Valentine qui plaida non coupable en s’abritant derrière Maurice Sachs.
    Le doux jeune homme qui me servait de maître n’avait pas de passion particulière pour les mathématiques. Aussi m’enseignait-il assez mal ce qu’il appelait la science des fous.
    À mon grand-père qui s’indignait, il disait pour sa défense :
    — Je trouve inutile d’ennuyer cet enfant avec les chiffres, puisque la chance l’a installé dans un monde où l’on ne compte pas.
    — Sachs, vous êtes idiot, ou vous vous moquez de moi. Vous devriez savoir que ce sont surtout les gosses de riches qui doivent apprendre à calculer. Pour avoir négligé cette évidence, vous faites de mon petit-fils un candidat à la soupe populaire.
    Afin de m’éviter pareille destinée, il me trouva un remède.
    Trois jours plus tard, une vieille demoiselle aux dents jaunes, catholique pour tout arranger, débarquait dans ma vie avec la ferme intention de me mettre au pas et à la table de multiplication.
    C’est à la Cour des comptes que mon grand-père l’avait dénichée. Chaque après-midi, pendant des mois, elle m’infligea des chiffres sans parvenir à me convaincre tout à fait que un et un font deux.
    Elle m’appelait monsieur. Cela seulement me plaisait.
    Elle me disait :
    — Les poètes ne sont pas des gens sérieux ; les écrivains ne sont pas vraiment normaux…
    Et des tas de choses du même genre, que d’ailleurs Maurice Sachs démentait formellement.
    Je suivais tant bien que mal les raisonnements contraires de mes professeurs qui s’efforçaient de me rendre intelligent.
    — Je suis payée pour cela, me répétait sans cesse la demoiselle aux dents jaunes.
    Ce qui ne me donnait pas envie de l’écouter pour autant. La seule chose qu’elle m’a certainement inspirée, c’est l’horreur des demoiselles.
    Plusieurs mois dans un cours privé pour les cancres de bonne famille, du côté de Saint-Cloud, et l’année du bac à Jeanson ne m’ont pas réconcilié avec les études.
    « On naît intelligent. On n’apprend pas à le devenir », m’avait juré Drieu La Rochelle.
    Convaincu qu’il avait raison, j’ai refermé mes livres, la conscience tranquille.
    Pour le comte, mon avenir restait un sujet de préoccupation que ne partageait pas Valentine.
    Comme François, elle pensait que je me débrouillerais. Une voyante le lui avait, paraît-il, confirmé.
    — Vous êtes vraiment très optimiste, ma chère. À vous entendre, tout est simple.
    — À vous entendre, mon ami, répliquait Valentine, tout est compliqué…
    À les entendre tous les deux se disputer toujours, depuis mon plus jeune âge, je ne pouvais pas imaginer d’autres formes à l’amour. Mon grand-père trouvait sans doute un peu ridicule de dire « je t’aime ». Pudeur oblige : il disait plutôt « merde » et Valentine comprenait très bien.
    Selon que le temps était sec ou humide le comte souffrait de ses jambes. Avec une évidente fierté la bonne décrétait, dans le ciel du soir, les douleurs possibles, le lendemain, pour son maître.
    Quand il avait mal, Valentine savait être une infirmière attentive et dévouée. Pour rien au monde, elle n’aurait laissé à quiconque le soin de veiller sur son mari. Aux moindres maux, il s’en remettait à elle, et l’étrange complicité qui les unissait intriguait le voisinage.
    — Pensez, disait la concierge, elle pourrait être sa fille !
    Mon grand-père faisait à Valentine l’honneur de la considérer comme sa maîtresse. Elle ne pouvait pas s’en plaindre !
    Il bougonnait sans cesse, mais la laissait se déguiser pour inspirer Jean-Gabriel Domergue auquel elle avait commandé son portrait.
    Elle occupait ses loisirs de comtesse au gré de sa fantaisie.
    Elle profitait de son titre et des relations de son mari pour se faire ouvrir les portes les mieux fermées de Paris.
    À l’aise partout, plutôt enjouée de nature, elle n’avait pas sa pareille pour animer les salons.
    À la jeune amie d’un ministre de l’Éducation nationale qui me trouvait mal élevé – et le clamait trop fort – elle retourna un seau à glace sur la tête. Quelle joie !
    — Il leur fallait un sujet de conversation à ces gens ; ils l’ont maintenant, déclara-t-elle tranquillement à notre hôte médusée.
    Comment pouvais-je avoir envie de m’abandonner aux
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