Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Passé supplémentaire

Le Passé supplémentaire

Titel: Le Passé supplémentaire
Autoren: Pascal Sevran
Vom Netzwerk:
réconcilié avec Cocteau. Veufs, en commun, ils se devaient d’aller ensemble se recueillir sur la tombe de leur cher disparu, foudroyé en pleine jeunesse par une douzaine d’huîtres.
    Mon pantalon, Valentine m’avait emmené le choisir sous les arcades de la rue de Rivoli.
    Dans l’arrière-boutique du marchand, la T.S.F. en sourdine diffusait une chanson gaie à la gloire d’un légume bien tendre qu’on mange avec les doigts.
    Elle m’avait plu.
    L’après-midi, je l’ai reprise en chœur avec Dranem.
    — Si tu me promets de ne rien répéter à ton grand-père, nous irons l’entendre à Bobino, m’avait dit Valentine.
    J’avais promis.
    Précédant une mode qui devait faire fureur, c’est ce même 14 décembre que ma grand-mère décida de se faire couper les cheveux.
    — Vous êtes sûre que monsieur le comte appréciera ? lui demanda le jeune homme qui, ciseaux en main, s’apprêtait à attaquer son abondante chevelure.
    — Monsieur le comte a sans doute d’autres préoccupations !
    Et le jeune homme de s’exécuter.
    Il avait tout ce qu’il faut pour devenir un grand coiffeur. Presque toutes ses phrases commençaient par : « J’ai entendu dire que… Il paraît que… »
    Même l’Élysée n’avait pas de secret pour lui.
    — Il paraît que le Président reçoit beaucoup en privé. Tenez, je sais qu’une danseuse du Casino et son partenaire vont souvent lui rendre visite.
    Après un silence lourd de sous-entendus, il ajouta :
    — Et savez-vous ce que l’on raconte, comtesse ? Celui des deux qui reste le plus tard n’est pas celle qu’on pourrait croire !
    L’anecdote devait ravir le comte qui traînait Henri III comme un boulet.
    Aussitôt rentrée, Valentine se précipita dans le bureau de son mari, et grâce à Gaston Doumergue, le consola de ce roi encombrant.
    Tout à sa stupeur, mon grand-père ne prit pas le temps de se scandaliser, comme prévu, de la coupe de cheveux provocante de sa femme.
    Il téléphona à Maurras pour l’informer des vices de la république.
    Le soir, à table, c’est tout juste s’il ne se tapait pas les cuisses, lui d’ordinaire si réservé.
    — Il en fait de belles leur Gastounet… Gastounet ! Ce surnom lui va comme un gant.
    Il fut gai ce 14 décembre-là !
    Empiétant sur les cours d’histoire du comte c’est finalement Maurice Sachs qui m’entretint de Henri III.
    J’ai découvert la vie au milieu d’un monde d’adultes, de vieillards même, attentifs d’abord à leurs problèmes et à leurs joies.
    Je n’ai pas promené de bateau sur le bassin des Tuileries.
    Je n’ai pas non plus écorché mes genoux sur le gravillon des squares publics.
    J’écoutais aux portes.
    Je lisais en cachette le courrier de mon grand-père.
    Je me mêlais insidieusement de ce qui ne me regardait pas.
    Je peux traverser le jardin du Luxembourg sans m’émouvoir, mais je ne m’en vante pas. Il m’arrive encore de le regretter.
    J’ai su dire « Bonjour monsieur le ministre », avant même d’avoir prononcé « maman ». Ce simple mot me dérange. L’écrire me gêne.
    Lorsque j’ai voulu savoir comment on fait les enfants Maurice Sachs a éludé ma question :
    — C’est très compliqué ! Le mieux est de ne pas en faire, m’a-t-il affirmé, péremptoire.
    Qu’il soit remercié ici de m’avoir épargné l’histoire du chou et de la rose, très en vogue à cette époque.
    Valentine m’avait demandé de l’appeler Mamie. Était-ce de la pudeur ou de la coquetterie ? Ma mémoire est pleine de points d’interrogation.
    — Nous allons déjeuner avec un poète. Écoute bien ce qu’il dira, cet homme parle comme un livre.
    Voilà qui n’est pas fait pour me séduire d’autant que mon professeur qui, lui aussi parle comme un livre, m’ennuie à me réciter des vers.
    À l’hôtel de Paris, Max Jacob nous attend.
    Moi qui crois que les poètes sont blonds, qu’ils ont les mains fines et le regard vague, je suis déçu.
    Je me glisse sur la banquette, boudeur.
    Ce qui m’étonne, c’est d’entendre les maîtres d’hôtel et les serveurs l’appeler « monsieur le préfet ».
    — Monsieur le préfet reprendra bien un peu de sauce béarnaise ?
    — Merci mon ami, merci.
    Réponse banale pour un poète.
    Il parle, parfois la bouche pleine, de Montmartre et de sa rue Gabrielle, de Lucie Delarue-Mardrus, une poétesse de sa connaissance.
    Il dit :
    — Jean est inconsolable.
    Il
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher