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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux
Autoren: Pierre Naudin
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vivats quelquefois sans doute insincères, ses yeux ne cessaient d’observer et sa mémoire de s’imprégner de bruits et de couleurs. Il n’y avait qu’à Séville qu’il avait senti autour de lui une joie de vivre certainement affectée mais qui pareille à celle des Bordelais, lui avait chauffé le sang. Présentement, c’était à Calveley et à Shirton d’éprouver les bienfaits d’une liesse hommagiale. Il découvrait d’ailleurs, pour ce qui le concernait, de nouvelles sources d’émotion lorsqu’il entrevoyait, au débouché d’une rue transversale, un édifice religieux dont le nom lui importait peu. Des murs épais, les uns orbes, les autres peu ajourés, que devaient alléger pour l’œil le décor intérieur d’arcatures aveugles et le flamboiement des vitraux. Parfois, après une façade d’une nudité austère succédait une exubérance d’ornements étranges et de formes excessives. Ils envahissaient les porches et les baies de leur végétation furibonde. Le matériau changeait en dessous : brique, calcaire, granit. Et c’était, au-delà d’un parvis envahi par la foule, un autre lieu saint différent du précédent. Dans des scènes de pierre apocalyptiques, on voyait se convulser à l’entour des tympans, chapiteaux et claveaux des personnages affreux et tout un bestiaire hideux. C’était à qui se contorsionnerait pour affirmer sa disgrâce.
    « Jamais le Christ n’aurait toléré cette laideur ! Elle injurie le genre humain et les animaux qui nous sont chers : le cheval, le bœuf, le chien ! »
    À Vézelay – comme c’était loin ! – avant qu’il connût Oriabel et l’aimât comme il n’avait jamais aimé depuis, il avait été saisi, puis rebuté par les gesticulations de ce peuple de pierre où il semblait que les hommes, les femmes et les enfants, tous immondes, s’entre-tuaient afin de se hisser les uns au-dessus des autres et se rapprocher de Dieu pour le supplier de les embellir… Oui, comme c’était loin, Vézelay ! Tiercelet venait de lui sauver la vie pour la lui sauver encore. Où était-il en ce moment, cet ami rude et matois ? Et Luciane ? Que faisait-elle ?
    La méditation de Tristan fut interrompue par Paindorge. Il confiait à Shirton qu’il conservait un bon souvenir des églises d’Espagne – encore qu’il les eût peu fréquentées. Plus naïves, elles étaient plus proches de sa foi.
    – Quel sera ton souhait, Robert, quand tu t’agenouilleras dans une de celles-ci ?
    La réponse vint, prompte et fervente :
    – Revoir Gratot dont je t’ai parlé.
    L’écuyer pensait-il, au-delà du châtelet, aux verdoyantes prairies du Coutançais ? Venait-il de se remémorer un visage particulier – celui d’une femme dont il avait souhaité conquérir le cœur sinon le corps ? Mais qui ? Saurait-il se réhabituer à une vie sans épreuves ni inconvénients d’aucune sorte ?
    « Et moi ? » s’interrogea Tristan, « le saurai-je ? »
    Luciane ou plutôt son souvenir ne l’incitait jamais à garnir les vacuités de son esprit de desseins tour à tour ordinaires et chimériques. Il se savait enclin, lorsqu’il la reverrait, à satisfaire ses désirs sinon ses volontés. Cette complaisance à l’égard de son épouse et l’intuition des soins dont il l’entourerait n’empêchaient pas qu’il craignît de vivre à Gratot une existence affadie par des répétitions de toutes sortes, dépourvues du moindre imprévu. Il aspirait à cette vie aisée mais monotone lors des périls ; une fois ceux-ci dépassés, il savait que la mélancolie l’atteindrait à plus ou moins brève échéance. Il ne se dissimulait pas non plus qu’il n’eût point éprouvé cet ennui à Castelreng ou tout au moins en Langue d’Oc. Parce que c’était son pays, parce qu’on y vivait sous un soleil profus, parce que la nature y était changeante et les gens plus gais, plus affables que partout ailleurs.
    Il sentit qu’il allait se laisser dominer par une tristesse bien connue, inséparable de son état de vaincu, et s’étonna d’avoir perdu avec sa liberté cette énergie que prodiguait aux êtres de son espèce une fortitude dont il se sentait momentanément dépourvu et qui les soulevait au-dessus des épreuves quelque pénibles et désespérantes qu’elles fussent. S’il ne voyait plus rien de la joyeuse agitation de la foule, il en ressentait les remous et dressait la tête non par orgueil mais pour éviter qu’ils ne
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