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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux
Autoren: Pierre Naudin
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morcelée, avant que le soleil d’Espagne ne l’accablât de ses traits.
    Pierrailles grises, maintenant, sur des sentiers veloutés d’une farine où le bruit des sabots se feutrait comme s’ils eussent été enveloppés dans des linges. Devant, les ondulations herbues des terrains suivaient une pente descendante. Et bien que cette terre commençât uniformément à verdir, on sentait partout, en dépit du beau temps, une nature morne, hostile – sans qu’on pût deviner envers qui.
    –  Regardez, messire !
    Juchés sur une même mule, un homme, devant, attentif, sa compagne, derrière, craintive, passaient à contre-courant. Ils étaient vêtus de peu et saluèrent – l’époux de la main, la femme d’un sourire. Où allaient-ils ainsi ? Vers quelles espérances ? Quelle était dans ce pays sans âme l’existence de ces deux êtres simples que l’on sentait unis d’âme et de corps, ce qui forçait les capitaines et les soudoyers au respect.
    –  Ils sont heureux, dit Paindorge avec une sorte d’envie.
    – Parce qu’ils ne sont pas victimes de la guerre. Parce qu’ils ignorent ce que c’est que servir son roi ou son seigneur par les armes.
    Quelques maisons dans des vignes où les grappes ternes et décolorées semblaient tarder à mûrir. Puis des bosquets touffus derrière lesquels émergeaient à nouveau les tours et les clochers – plus hauts, plus gris, plus arrogants.
    Il fallut traverser des vergers, pénétrer dans des épaisseurs d’ombres et de verdures, atteindre enfin les abords de la cité. Sur un tertre au-dessus duquel flottait la bannière d’Édouard le Jeune : lis et léopards mêlés, frappés d’un lambel à trois pendants, une centaine de manants s’étaient réunis pour accueillir le prince.
    – Il quitte sa litière et enfourche son palefroi, dit Paindorge, dressé sur ses étriers.
    – Ces Bordelais ont été prévenus par des chevaucheurs, sans quoi ils ne seraient pas si nombreux à l’attendre hors des murailles.
    – C’est vrai !… Voyez toutes ces manantes !
    Elles s’étaient vêtues de couleurs franches : l’amarante, le vert, le violet, le bleu cru, le safran. Certaines avaient amené leurs enfants. Des femmes qui riaient et battaient des mains. Des femmes aux poitrines opulentes sous des étoffes légères. Des femmes qui espéraient leur homme, capitaine ou soudoyer ; un homme qui pourrissait peut-être quelque part dans l’herbe après qu’il eut reposé dans un cercueil de neige glacée. Putain de guerre ! Elle priverait ce soir ces belles d’une étreinte et d’un spasme de félicité.
    Une ombre surgit entre Tristan et son écuyer. Grande, épaisse : Calveley.
    – Vous vous attendez à trouver une cité farouche, bien murée, où l’on vit mal. Vous allez voir qu’il n’en est rien.
    Pour franchir une voûte, le géant appuya son nez sur la crinière de son cheval.
    – Malgré les objurgations de ses mires, le prince a décidé d’accomplir le grand tour. Je reste auprès de vous. La ville est pavoisée, enfleurie… Plus nous avancerons, plus la liesse sera forte.
    – On s’en doute, dit Paindorge dont la maussaderie et le mésaise augmentaient. Où sont Guesclin, Audrehem, Villaines ?
    – Guesclin est à Bayonne pour deux ou trois jours. Les autres sont avec nos capitaines. Sache que tout Bordeaux connaît votre infortune.
    Comme la plupart des Anglais, Calveley n’avait pas jugé opportun de s’adouber il avait suffisamment porté l’armure de fer pour la confier au charroi des prud’hommes de son pays. Son pourpoint de velours vermeil, trop étroit, craquait sous une aisselle et ses heuses conservaient quelques croûtes d’une boue aussi ferme que son âme. Il avait gardé son épée à sa hanche et cheminait nu-tête, les cheveux roux ébouriffés, sans qu’il se souciât d’avoir ainsi l’air d’un routier. Il lâcha les rênes de son gros rouan cavecé de noir.
    – Bordeaux, dit-il, ses bras immenses tendus comme s’il voulait saisir la ville et la serrer sur son cœur.
    « Nous y sommes », songea Tristan. « Combien de jours, de mois vais-je rester céans… si toutefois l’Édouard ne nous fait pas occire ? »
    Situé sur la rive senestre de la Garonne, à vingt-cinq lieues de l’Océan, Bordeaux était bâti en plaine, le long de la courbe du fleuve large de trois cents toises et que l’on traversait à toue, à traille, en sapantin 4 parmi les grandes nefs et les cogghes cherchant
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