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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan
Autoren: Jean Teulé
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mari,
il est carbonisé, noir !... la tête en cendre.

 
52.
     
     
    — C’est
grave, docteur ?
    — Très.
    Le médecin
roux, ventru et barbu, en robe de velours rouge, dentelles aux poignets, prend
le pouls de Montespan et de l’autre main soulève et observe une fiole en verre
contenant l’urine du marquis :
    — Ça vous
a pris quand ?
    — De
retour d’un voyage entre Paris et Orléans, j’ai passé un été et un automne sans
parvenir à m’en remette. Je suis victime d’hémorragies. Je souffre. La nuit, je
garde les yeux grands ouverts, suant de fièvre. Je sens que ma fin est proche.
    — Elle
l’est.
    Une odeur de
renfermé règne dans le sombre cabinet toulousain seulement éclairé par une
bougie devant laquelle l’homme de science contemple l’intérieur de la fiole. À
travers le verre fin, la flamme projette sur tous les murs les lueurs
flottantes de l’urine du Gascon que le médecin analyse :
    — Vapeurs
élevées de la rate et de l’humeur mélancolique dont elles portent les livrées
par le chagrin qu’elles impriment. Elles se glissent par les artères au cœur et
au poumon où elles excitent des palpitations, des inquiétudes et des
étouffements considérables. De là, s’élevant au cerveau, elles y causent,
agitant les esprits.
    — Ce qui
veut dire ?...
    — Vous
êtes cuit.
    À travers
l’épais rideau masquant la fenêtre, on entend dehors, dans les rues de
Toulouse, les voix d’un charivari de carnaval crier :
    — À mort
les cocus !
    Sous sa
perruque à double tumulus bien ordonné, le marquis, vêtu d’un pourpoint gris et
de bas roses, écoute le médecin justifier ces exclamations :
    — Presque
quatre-vingts jours de fête où il est défendu de travailler par la ville... Les
beuveries et les moqueries hurlées envers les infortunes conjugales durent
depuis début février.
    — Docteur,
quelle est mon espérance de...
    — Vous ne
connaîtrez pas la fin de l’an 1691, monsieur de Montespan. Que faites-vous ce
soir ?
     
    *
     
    Le lendemain
après-midi, après être descendu de la diligence au relais de poste situé à
trois lieues de chez lui, Montespan poursuit à cheval son voyage jusqu’au
castel en s’accrochant à la selle. La tête lui tourne. Il a mal au cœur et
pense que ses os gonflent et s’effritent. En nage, dans la cour du château, il
se laisse glisser de la monture aidé par Cartel :
    — Vous
avez reçu une lettre, capitaine,
    — Ah ?...
Une lettre de qui ?
    — Je ne
sais pas. Ça vient de l’abbaye de Fontevrault.
    S’échouant
dans son fauteuil dos à la fenêtre, au bout de la table de la cuisine, le cocu
décachette la missive :
     
    15 mars 1691
    Louis-Henri,
     
    Je sors
d’un cauchemar. J’ai fait un mauvais rêve où je m’appelais Athénaïs...
     
    Pétrifié, le
marquis lit la suite. Lorsqu’il a fini, la lettre tombe de ses mains :
    — Françoise,
chassée de Versailles et entrée au couvent, me propose de revenir.
    — Quoi ? !
    — Elle
demande pardon à son mari et l’autorisation de revenir près de lui s’il daigne
la revoir...
    La cuisinière
n’en revient pas. Le concierge en a les moustaches qui tombent. Dorothée
écarquille de grands yeux alors que Marie-Christine, sur ses genoux,
demande :
    — Que se
passe-t-il, maman ? Une dame va venir habiter avec nous ?
Quand ? Elle est gentille avec les enfants ?
    La grand-mère
de la petite pose devant Montespan un verre d’eau  – tremblant miroir
liquide où le cocu voit ses traits s’étirer, se tasser, s’étendre, onduler,
modifier grandement son apparence :
    — Je ne
veux pas qu’elle revienne.
    — Hein ? !
s’exclame la cuisinière. Mais Monsieur, souvenez-vous, depuis la rue Taranne...
cela fait vingt-quatre ans que vous attendiez ce jour pour...
    — Pour
quoi faire ? répond sèchement le marquis en ricanant affreusement. Lui
présenter mon mal de genou et mes pantoufles ?... Je ne veux pas qu’elle
assiste à ce que je vais devenir les prochains mois. Je ne veux pas qu’elle me
voie dépérir. Je ne veux pas qu’elle garde cette image de son époux. Je ne l’ai
pas espérée si fort, si longtemps, pour aujourd’hui lui offrir le spectacle
d’un pauvre mari cassé et infirme sur le pot à pisser. Donnez-moi du papier et
de l’encre.
     
    Madame,
     
    Je ne veux
ni vous recevoir ni plus ouïr parler de vous le reste de ma vie.
     
    Le soir, assis
au bord des douves sous la lune, le concierge
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