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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan
Autoren: Jean Teulé
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l’église.
    — C’est
parce que ce corps, jadis si beau, a subi l’outrage d’un scalpel ignare. Avant
qu’on vous l’apporte, il fut confié aux soins d’un médecin amateur qui l’a
ouvert sans trop savoir comment s’y prendre.La marquise avait laissé
des instructions sur le traitement qu’elle souhaitait qu’on réserveà
son corps après son décès  – léguer au prieuré de Saint-Menoux ses
entrailles et son cœur.
    — Son
cœur ? Est-ce qu’elle en avait un ? sourit le curé. Et là, qu’y
a-t-il dans cette urne ?
    — Ben,
justement, ses entrailles et son...
    — Ah mais
voilà l’infection ! Regardez, cette urne fut mal scellée. Virez-moi ça de
là ! Mesnier ! appelle le père Pétillon, s’adressant à un habitant du
coin, agenouillé sur un prie-Dieu, en cape de berger et bas colorés peu
coûteux. Emporte cette urne au prieuré de Saint-Menoux. Allez ! Ce n’est
qu’à trois lieues. Les domestiques de la carogne te donneront la pièce.
    L’homme à cape
de berger s’empare du vase et le renifle en grimaçant, sort, tandis que le curé
déclare aux domestiques :
    — En
attendant quevous retrouviez d’Antin et qu’il prenne une décision,je
garde encore la dépouille en dépôt et vous laisse une copie de l’acte de décès
que j’ai rédigé le jour de son arrivée.
     
    Aujourd’hui
28 moi 1707, par moi curé soussigné, a été apporté en cette église le corps de
Françoise de Montespan, décédée en cette ville le vendredi 27 après avoir reçu
tous les sacrements et où repose jusqu’à ce qu’on dispose autrement.
     
    Sur la terre
poudreuse de la grand-route qui mène à Saint-Menoux, en cette chaude fin
d’après-midi de juin, l’homme, à qui fut remis l’urne, la porte au bout de ses
bras tendus le plus loin possible devant lui. Les bouffées du récipient mal
fermé le dégoûtent, lui filent la nausée, des envies de vomir, et au bout d’une
demi-lieue, l’homme trop écœuré par l’odeur émanant de l’urne n’a plus
l’intention de continuer le voyage :
    — Mais
qu’y a-t-il là-dedans  ?
    Il ouvre le
vase aux flancs arrondis et ce qu’il voit le dégoûte tellement qu’il renverse
le contenu dans un fossé. Des cochons et des chiens se précipitent sur les
entrailles. Alors que les porcs dévorent l’estomac et le foie dans l’herbe, les
chiens se sauvent avec les boyaux de la marquise, son cœur et ses poumons.
    L’homme aux
bas colorés observe ces faméliques mâtins jaunes qui courent sur la route
poudreuse, traînant derrière eux les intestins de l’ancienne favorite du roi.
Et celle qui avait la beauté du diable paraît renaître.
    Ses longs
boyaux, au cul des molosses, s’élèvent dans l’air, tournoient, balancent de
droite à gauche comme le bas de sa robe s’envolait lorsqu’elle dansait en
tournoyant dans des ballets de Benserade. Les couleurs vertes, bleues, roses,
de l ’intestin grêle
accentuent l’effet. Les pattes arrière des chiens s’empêtrant dans le gros
intestin le déchirent et leurs griffes tracent d’étroites traînées parallèles
de merde ressemblant aux rainures du parquet de Versailles.
    Le soleil, en
face, éblouit tout et les silhouettes à contre-jour des peupliers semblent
devenir des statues monumentales de Girardon aux lueurs de bronze. Les longues
pattes des dogues mangées de lumière sont ondulantes et flottantes, et l’on
entend des claquements de mâchoires. Deux chiens en courant, épaule contre
épaule, se disputent les poumons de la marquise. Ils les étirent, les tassent,
les étirent. Ça y est, elle respire ! En tête de meute, les crocs d’un
cerbère aux babines très relevées mâchent le cœur d’Athénaïs d’où s’échappent,
sur les côtés, des jets. Il bat ! Elle revit dans le mirage.
    Au pied de la
croix du cimetière de Bonnefont, les herbes et les fleurs sauvages d’une tombe
s’animent et l’on croit percevoir un mot. D’aucuns diront qu’il s’agit du
sifflement de la tramontane dans les feuilles, mais c’est en fait la voix de
Louis-Henri qui se reprend à espérer encore et appelle :
    — Françoise...
     
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