Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan
Autoren: Jean Teulé
Vom Netzwerk:
d’Antin,
Noirmou...
     
    *
     
    Aux toutes
premières lueurs de l’aube silencieuse, dans le brouillard épais qui envahit le
pré, quand d’Antin entend crisser sur des flaques gelées les chaussures à
boucles d’argent du chevalier de Saint-Aignan, il demande à son voisin,
Noirmoutier, sa fiole d’eau de Schaffhouse qui est excellente pour les
apoplexies.
    Paris est sans
bruit. Le coq n’a pas encore chanté et, disposée en ligne devant une haie de
noisetiers givrés, la bande de l’offenseur Chalais découvre la pâle silhouette
brumeuse de la clique de l’offensé La Frette surgissant d’un vaste hangar à
foin. Eux aussi en ligne avancent droit sur leurs adversaires.
    Ils seront
bientôt à portée d’haleine, le pré rectangulaire est étroit. À droite, des
hôtels particuliers endormis. À gauche, la chartreuse du boulevard
Saint-Germain avec son cloître et des cellules de moines qu’il ne faudrait pas
alerter en se criant des invectives inutiles.
    De toutes
façons, il n’y a plus rien à se dire. On n’en est plus là. Il s’agit d’un duel
au premier mort et d’Antin ne se sent pas bien sous sa lourde perruque bouclée.
En manteau d’écarlate jeté sur les épaules et chapeau noir retroussé à la
catalane, il se met pourtant en belle posture, avance un pied et place la main
au côté. Mais ses doigts tremblent. Depuis l’annonce du duel, tout à l’heure,
ses paupières ont enflé, une rougeur érysipélateuse a poussé à son front, ses
oreilles suintent, une grosse gale lui est apparue derrière la tête, des
dartres au menton et sous l’aisselle gauche le démangent.
    Le hasard a
disposé la jeunesse dorée. La Frette affrontera Chalais. Amilly sera pour
Flamarens. Noirmoutier brettera avec Arnelieu et d’Antin voit venir sur lui le
chevalier de Saint-Aignan.
    Chevelure
bouclée à la grecque, cet humain-oiseau, à long plumage et œil crevé par la
contamination des putes dans les bordels, considère sans ralentir dans le
brouillard, haut et bas, son adversaire d’un visage assuré qui ne témoigne
aucune crainte. Il a du bel air et une épée au poing pour laver l’honneur de
son frère. Il avance à grands pas en éprouvant le fer de sa lame. D’Antin se
demande quand il va s’arrêter, se mettre en garde, mais l’autre continue comme
s’il allait passer la haie de noisetiers. Toc ! D’Antin sent éclater l’os
de son front par la pointe de l’épée qui lui traverse toute la tête, entraînant
derrière le crâne sa perruque qu’il tente de rattraper, c’est bête... C’est
bête de mourir ainsi dans un petit matin glacial et de tomber à plat dos en
culotte collante gris perle et bas de soie rose qu’on a fixés avec des
jarretières quand tout, autour de vous, a tourné au carnage. À droite, ses
trois partenaires gémissent dans l’herbe. Les adversaires s’en vont.
    Petit Chalais
se relève en tordant ses chevilles à cause des épaisses semelles. Il plaque une
main sur son ventre qui saigne abondamment. Flamarens traîne derrière lui une
jambe sanguinolente en sautillant vers la silhouette pâle d’un carrosse,
Noirmoutier, épaule déchirée, court dans l’autre sens vers un cheval.
    — Où
pars-tu ? Lui demandent les deux autres.
    — Au
Portugal.
    Le coq chante. Des charrons,
maréchaux-ferrants, des tonneliers, des tisserands, des bourreliers, tirent les
volets de leurs petits ateliers. La brume se dissipe. Le soleil passe
par-dessus les toits des hôtels particuliers, éclaire un corps qui gît à
terre...
     
    *
     
    A midi, les ombres
verticales sont tranchantes. Elles tombent des toits autour de la place de
Grève en triangles sur la foule. Le silence est impressionnant, les fenêtres
louées à l’enchère. Des gardes, rangés en ordre, entourent une estrade.
    — Et de
six !...
    La hache d’un
bourreau cagoule s’abat d’un mouvement si net et rebondissant que la tête de
Saint-Aignan reste sans tomber du billot. L’exécuteur croit avoir manqué son
coup et qu’il faudra frapper une seconde foislorsqu’elle s’effondre sur
cinq autres couvrant le plancher de l’estrade. En tas comme des choux, on
dirait qu’enfin réconciliées elles se font toutes des bises partout : sur
le front, les oreilles, la bouche (elles auraient dû commencer par là, de leur
vivant). Le bourreau s’éponge le front en s’adressant à quelqu’un en bas de
l’estrade :
    — Monsieur
de La Reynie, six d’affilée, c’est trop ! Je ne suis
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher