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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan
Autoren: Jean Teulé
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encore égaré la
clef de chez nous. Peut-on passer par la boutique ?
    — Dix
heures du matin et c’est seulement maintenant que vous rentrez, tous les
deux ? Encore passé la nuit dans le Marais à jouer à la bassette et au
trou-madame ! J’espère que vous avez gagné des écus, cette fois-ci.
    — Ah non,
tout perdu !
    Louis-Henri entre
à son tour. C’est une boutique propre dans des teintes beiges et ocre où
pendent de longues grappes de cheveux accrochées au plafond et frôlant presque
le sol. Un « talon-rouge », crâne rasé enduit de saindoux pour éviter
les irritations et parasites, attend le postiche capillaire qu’un employé finit
de friser. Un ecclésiastique prend du recul et admire, dans un miroir qu’il
tient entre ses mains, sa perruque blond platine tonsurée. Près de lui, jovial
et bonhomme, Joseph Abraham voit son épouse venir dire à Françoise :
    — Mais
c’est ouvert, chez vous, ma petite ! La cuisinière, Mme Larivière, attend
de servir le dîner depuis hier soir avec votre nouvelle domestique. Je crois
qu’elle vous avait préparé des pigeonneaux de volière en bisque et du chapon haché.
    — Ah, je
sais, et puis les parties de cartes se sont enchaînées... On pensait se refaire
mais... On passe quand même par la porte de l’arrière-boutique, hein, madame
Abraham. Salut la compagnie. Nous, on va au lit !
    Six apprentis
sur la mezzanine de l’artisan perruquier, penchés à la rambarde, contemplent du
dessus le décolleté profond de Françoise qui s’en va. Ils paraissent statufiés.
Le perruquier frappe dans ses mains :
    — Eh
bien !
    Le corsage de
Françoise s’ouvre comme par mégarde puis elle entre dans la sombre cage
d’escalier. Louis-Henri sourit :
    — Belle
comme le jour, vrai démon d’esprit !
    L’orgueil de
ses beaux seins cambrés diffuse le seul vrai parfum : son corps.
Louis-Henri tend une main vers la poitrine fluorescente.
    — Oh
là ! Tout beau, monsieur ! fait mine de s’offusquer la marquise.
N’oubliez pas qu’il n’y a que deux ans que je suis sortie du couvent.
    — Eh
quoi !
    — Faites-moi
d’abord voir à quoi ressemble votre figure : menton trop long, gros nez,
paupières tombant sur les côtés, taches de rousseur. Tout cela qui en détail
n’est pas beau est, à tout prendre, assez agréable. Ça va. Montez...
    Sa jupe moirée
va et vient comme une marée sur les premières marches de l’escalier.
Louis-Henri, resté près de la boule de cuivre de la rampe, joue celui qui boude
sa femme :
    — J’hésite... Avec une épouse
issue de la noblesse de robe, je ne sais pas... J’aurais pu en trouver beaucoup
d’autres qui auraient mieux accommodé mes affaires, côté dot, car je suis de la
noblesse d’épée, moi ! Montespan... on trouve cette noble famille dès les
croisades, dans les combats entre les comtes de Bigorre et de Foix ou contre
Simon de Monfort ! Alors une Mortemart... unemaîtresse faite pour
le clair de lune, une femme de rendez-vous secrets et de lits d’emprunt... J’hésite...
    — Vous
avez raison, s’amuse Françoise. Se marier par amour veut dire
désavantageusement et par l’emportement d’une passion aveugle. N’en parlons
plus, conclut-elle en grimpant quelques nouvelles marches et ondulant beaucoup
des hanches.
    La beauté du
corps qu’il soupçonne, sous la soie de la robe aux longs plis bien pleins,
dilate les pupilles du marquis. Alors, comme un cheval, il se met à souffler
des narinestandis que la belle lui fait l’article :
    — Savez-vous
que dessous, je porte trois jupes légères ? Voyez d’abord la première,
couleur bleu naissant, qu’on nomme la modeste, fait-elle en dégageant
légèrement l’arrière de sa robe pour dévoiler une jupe qu’elle soulève à son
tour. La deuxième, bleu mourant, porte le nom de friponne...
    Louis-Henri veut
saisir sa femme par la taille mais elle s’échappe d’entre ses doigts. Elle est
d’une élasticité, d’un ressort admirables. La répartition de l’appartement des
jeunes mariés est faite à la verticale sur trois étages  – une
distribution aberrante liée à l’étroitesse du parcellaire parisien qui oblige à
construire en hauteur. Que d’allées et venues dans l’escalier ! - il faut
monterle bois mis en réserve dans la cave et aussi l’eau, dans des
seaux tirés au puits de la cour. Le marquis, soudain lubrique, lorgne sa femme
et gronde comiquement en roulant des
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