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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan
Autoren: Jean Teulé
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enlace la cuisinière à la tempe
posée contre son épaule. Ils regardent à l’étage du castel la fenêtre éclairée,
écoutent le marquis crier et pleurer toute la nuit.

 
53.
     
     
    Le 1 er décembre 1691, Louis-Henri de Pardaillan, marquis de Montespan, décline à
cinquante et un ans dans sa chambre du château. Des draps couvrent les chaises
de son théâtre, on a fermé le robinet du jet d’eau du parc, une mousse verte
réapparaît à la surface liquide des douves.
    Contre un mur
de la cour, l’énorme glycine a envahi le carrosse cornu abandonné là depuis un
quart de siècle. Les branches entrées à l’intérieur de la voiture ont dégondé
les portes, sont sorties par les vitres après avoir déboîté le toit aux hautes
ramures. La plante a poussé sa phénoménale force autour des roues qu’elle a
soulevées de terre ou cassées dans l’étreinte, tordant le véhicule dans une
posture ridicule. On ressent la plainte du pauvre carrosse oppressé aussi par
le mouvement reptilien des branches, écrasant ses façades noires dans des
éclats de planche. La nature le mâche. Le marquis est dans le même état...
    Ses parents
sont décédés, sa fille est morte de chagrin, il ne reverra jamais sa femme, son
fils le dégoûte.
    Ce rejeton de
vingt-six ans, devenu gros monolithe, accoudé à la cheminée de la chambre,
devant un mur illustré d’un ciel par Sabatel, observe avec mépris son père
alité.
    Un notaire
— Me Faulquier  – lit à voix haute le nouveau testament du cocu qui
ordonne qu’après que son âme aura fait séparation d’avec son corps, celui-ci
soit enseveli et inhumé sans pompe au pied de la croix du cimetière paroissial
de Bonnefont.
    Le fils du
moribond, écoutant la suite, se dit que voilà une tombe qu’il n’ira pas fleurir
souvent... Car si son père l’institue unique héritier et légataire universel,
il lui demande de garder ses employés à qui il verse de belles sommes  –
trois mille livres au couple Cartet et mille cinq cents livres à Dorothée.
Louis-Antoine, en cape à doublure d’hermine, pense que c’est de l’argent gâché.
Il fait encore plus la tronche lorsqu’il entend que son géniteur offre un habit
neuf à chacun des habitants de Bonnefont en considération des bons et agréables
services rendus et les dispense d’une année d’impôts seigneuriaux.
     

    — Là,
c’est la fin, il faut l’achever. Il délire..., commente le gros fils courtisan.
    D’Antin très
attentif, sinon scrupuleux, en matière de successions grommelle, ricane et
promet qu’il ne prendra pas ces dernières volontés d’aussi bonne manière au
moment de leur exécution.
    — Ah,
mais ce n’est pas vous qui déciderez, intervient Me Faulquier auprès du fils
indigne. Votre père a choisi son épouse pour exécutrice testamentaire.
    Et le notaire,
devant un d’Antin furieux, lit pour illustrer son propos :
     
    ... À dit
aussi et déclaré, ledit marquis testateur, qu’il a toujours eu une confiance entière
en la charité de Mme la marquise de Montespan, son épouse, et particulièrement
à l’heure présente que ledit marquis en a le plus besoin, estant en un état
infirme et atteint d’une maladie qui lui fait craindre les suites. C’est
pourquoi il la supplie de vouloir faire prier Dieu après son décès pour le
soulagement de son âme, ce qu’il espère, et la prie de vouloir être son
exécutrice testamentaire par toute l’amitié et la tendresse très sincères qu’il
a conservées pour elle. Et ledit marquis testateur lui proteste, en
reconnaissance, qu’il mourra content et très satisfait de l’avoir connue.
     
    Louis-Henri de Pardaillan, marquis de Montespan, époux séparé quoique inséparable.
     
    Le pathétique
de cet aveu brûlant, libellé en jargon de tabellion, n’émeut pas plus que ça le
fils qui s’en va sans même un dernier regard pour son père.
    Les Cartet,
Dorothée et sa fille, restés à l’écart dans la chambre, s’approchent à leur
tour du lit. La cuisinière plaque partout autour d’elle les mains contre ses
vêtements et dans les poches.
    — Si
c’est votre chapelet que vous cherchez, lui dit doucement son mari, vous l’avez
là, enroulé au poignet, madame Larivière...
    — Oh oui,
bon, ben ça va ! l’engueule la cuisinière déboussolée.
    Montespan
s’étonne en regardant le concierge :
    — Vous
appelez votre épouse Mme Larivière ?
    — C’est
l’habitude,
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