Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
l’eau, le feu et la terre pour que l’énergie universelle apaise et guérisse.
    Je m’emparai du pilonet, gagnée par la magie de mon incantation, je broyais le tout jusqu’à obtenir une pate noisette à l’odeur de sous-bois.
    Mais il restait l’essentiel : levant le mortier au-dessus de ma tête, je le portai à pas lents jusqu’à la fenêtre.
    Au loin, par-dessus les remparts du château, la campagne angevine s’endormait, tandis que les chandelles, dans les logis rassemblés autour de l’enceinte, mettaient petit à petit des taches lumineuses sur les vapeurs de la soirée. Des mugissements venaient se mêler aux piaffements des chevaux et aux grognements des cochons dans la basse-cour. Dans le colombier, des battements d’ailes et des roucoulements craintifs répondaient aux cris stridents des faucons.
    – Ce n’est pas une nuit comme les autres, remarquai-je. Même les animaux le sentent. Bientôt, bientôt ! Lors, je porterai l’onguent à la comtesse et caresserai l’enfant. Dès que la lune ronde viendra m’éclairer d’un rayon !
    Je m’accoudai à la fenêtre en souriant de plaisir, le visage posé dans mes paumes ouvertes, au-dessus du petit mortier de bois.
     
    Un cri de délivrance déchira l’hospice. Guenièvre coupa le cordon ombilical avec de fins ciseaux. Elle saisit le nouveau-né par les pieds et, le suspendant tête en bas, le fessa vigoureusement jusqu’à ce que retentissent dans la pièce des pleurs aigus.
    – C’est un fils ! Que l’on prévienne Geoffroi le Bel !
    Quelques instants plus tard, je vis la porte cloutée tourner sur ses gonds, avec ce grincement familier que j’espérais depuis des heures.
    – Viens, me dit Guenièvre.
    Je pris avec précaution le mortier entre mes mains et, sans mot dire, devançai avec dignité ma mère dans l’embrasure de la lourde porte de chêne.
     
    Une fumée blanche et opaque avait envahi la pièce exiguë, mais je n’en avais cure. C’était une sorte de réduit, à l’arrière de ma chambre, où j’aimais essayer mes expériences magiques. À l’inverse de certains seigneurs de ces temps, Geoffroi dit le Bel, comte d’Anjou et du Maine, répugnait à l’utilisation de courtines pour séparer les pièces les unes des autres. De sorte que le donjon se trouvait partagé par des murs intérieurs faits d’éclats de pierre amalgamés avec de la chaux et du sable. Outres la grande du rez de chaussée où l’on servait ripaille, à l’étage tous avaient leur chambre, petite et étroite certes, mais suffisante pour que chacun se trouvât à son aise. C’était une de ces exigences de confort que dame Mathilde, après son veuvage d’avec l’empereur d’Allemagne, avait appréciées en deuxièmes noces. La vie au castel d’Angers en était devenue plus intime, ce qui n’était pas pour me déplaire.
    La fumée me piquait. Je me raclai la gorge, toussotai plusieurs fois, mais, déterminée à pousser mon entreprise jusqu’à son terme, je rajoutai dans la cheminée la mousse putride et nauséabonde que j’avais pétrie de mes doigts. La flamme s’étouffa encore, élevant un nuage acide dans l’air. Je sentais mon corps s’alanguir et en même temps se balancer d’une sensation à une autre. Un étau m’enserra les tempes tandis que montait du fond de mon ventre une étrange douleur. Je tombai à genoux, sans détourner mon regard de l’âtre.
    Soudain, les volutes s’y concentrèrent, puis des formes indistinctes apparurent, se mélangèrent, se précisèrent jusqu’à devenir images. Tout dansait autour de moi dans un ballet d’ombres et de lumières, que je regardais sans voir, pénétrée par des visions d’un autre temps. Les murs vacillaient, semblaient pris de convulsions. Mais peut-être était-ce moi ? Les yeux dilatés par l’étrange pouvoir de mon âme, j’absorbais le parfum d’une connaissance mystérieuse, et cela me grisait.
     
    Je ne sais combien de temps je restai ainsi en transe, auréolée de fumée et de songes grimaçants. Et puis soudain, la fumée se dispersa, happée par un courant d’air venu de la chambre. La porte s’était ouverte et une voix lointaine résonna en s’amplifiant au creux de mes tympans.
    – Loanna ! Par les pouvoirs des trois cercles ! Combien de fois devrai-je te répéter que tu es trop jeune pour de telles expériences ?
    Je saisis la main que me tendait mère. Elle avait l’air fâché. Je voulus la rassurer d’un sourire, mais
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher