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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor
Autoren: Mireille Calmel
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n’avais plus la force de rien, tant les révélations m’avaient épuisée. Elle m’aida à me lever ; lors, étirant mes membres endoloris, je parvins à lui faire face. Je ne voulais pas lui causer de tourment. Je redressai fièrement le menton et soutins le regard couleur de mousse empreint d’une colère sourde.
    Mère était une petite femme ronde et joufflue, à la chevelure épaisse qui la faisait ressembler à un écheveau de laine rousse. Dressée dans tout mon orgueil d’enfant, j’étais presque aussi grande qu’elle.
    – Tu es têtue comme je l’étais à ton âge, Canillette !
    L’espace d’un instant, face à ma détermination, ses yeux s’étaient crayonnés d’indulgence, mais cela ne dura pas.
    – Cela peut être dangereux pour qui n’est pas préparé, Loanna, tu te dois de préserver la santé de ton esprit. Si les forces que tu manipules en apprentie venaient à t’échapper, tu pourrais y perdre ta lucidité. Tu ne dois jamais oublier cela, Canillette, c’est ton bien le plus précieux.
    – Oui, mère. Mais ne vous fâchez pas, il me fallait savoir ! Henri est si joli, si petit.
    Ses bras ronds m’enlacèrent avec tendresse. Elle me berça contre sa poitrine généreuse en soupirant, résignée :
    – Henri n’a que quelques jours et tu voudrais déjà tout connaître de demain. Allons, est-ce bien raisonnable ? Ton teint est cireux et tes yeux gonflés, ce n’est pas avec ce masque que tu pourras lui être utile.
    Elle m’entraîna vers la fenêtre, m’incitant à inspirer largement l’air vif. Peu à peu, la couleur regagna mes joues, et je me sentis moins faible. Lorsque je repris le contrôle de mes sens, une profonde tristesse m’envahit, incontrôlable, que je ne pus m’empêcher de confier à Guenièvre :
    – Me sont apparues des choses bien curieuses. Des lieux dont je ne connais rien. D’un endroit, je n’ai retenu qu’un long bras de mer écartant les terres ; d’un autre, un regard languissant d’une pureté extrême, et d’une douceur infinie. Quel sentiment étrange, mère ! Je crois bien que de ma vie, je n’oublierai ces yeux-là. C’est comme s’ils m’avaient pénétré le ventre et le cœur à tout jamais. Croyez-vous que l’on puisse emprisonner l’âme de ceux que l’on regarde quand l’Église l’interdit ?
    Elle éclata d’un rire sonore et gai :
    – Bien sûr que non, Canillette ! Ni l’Église ni son Dieu n’ont de pouvoir sur ces choses. Tu as vu des images lointaines dans le futur, auxquelles tu ne dois point accorder d’importance pour l’instant. Nous ne pouvons changer le cours des événements que par la stratégie et les forces de la terre, pas en visionnant un fragment de l’histoire. Allons, ma toute petite, sois patiente. Tout cela viendra bien assez tôt, je te le promets. Lors, comme je le fais aujourd’hui, tu pourras servir l’Angleterre… Va ! Bernaude attend ton aide au fauconnier. Pour l’heure, ta science et ton amour des rapaces sont plus utiles au château.
    – Sont-ils arrivés ?
    – Les jeunes éperviers ont été amenés hier aux vêpres par un des vassaux du comte, mais l’un d’entre eux refuse toute nourriture, tu sauras le reprendre, j’en suis sûre.
    – J’y cours, mère.
    Je l’embrassai avec bonheur. Je l’aimais, mais n’osais le lui dire. Je coulai dans ses yeux chaleureux un regard plein de tendresse, puis m’élançai à toutes jambes dans l’escalier de pierre.
     
    L’orage était monté d’un coup, violent, en plein cœur de la nuit, ne laissant à l’aurore que ces nuages de traîne qui semblent se prolonger jusqu’à terre.
    J’avais couvert ma chemise de soie d’un mantel de laine épaisse et m’étais glissée dans les jardins sous ma fenêtre, nu-pieds dans l’herbe tendre. Avant que les premiers ne se lèvent, il régnait en ce lieu une étrange atmosphère, faite encore des bruits nocturnes et de ceux imperceptibles de la vie qui s’éveille. C’était un moment privilégié, propice à la rêverie. Ici, tout s’animait au chant du coq : les cuisiniers s’activaient, et les parfums champêtres se couvraient d’odeurs de poulardes rôties, de pain blond et de sucre caramélisé. Dans la basse-cour, les poules caquetaient pour réclamer leurs graines d’orge et de blé. Et, depuis la semaine dernière, des bruits de pots de lait tintant contre les écuelles des apprentis venaient s’ajouter au remue-ménage habituel. La voix
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