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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor
Autoren: Mireille Calmel
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pas ferme vers les écuries.
    Il avait beau savoir que tout ceci n’était qu’un jeu, il ne pouvait supporter l’idée qu’il arrivât quoi que ce soit à sa nièce par sa faute. Du moins était-ce l’excuse qu’il s’était donnée.
    Les routes étaient peu sûres en ces temps. Depuis quelques mois, une compagnie de bandits de grand chemin les écumait, pillant et massacrant les voyageurs, violant damoiselles et duègnes sans distinction. Le duc d’Aquitaine, Guillaume, le père d’Aliénor, avait dépêché des soldats que Raymond avait conduits lui-même pour décimer ces truands, mais sans succès. Ils restaient introuvables, semblant ne sortir que pour effectuer leurs forfaits. Et il n’y avait pas un vilain pour vendre leur secret. Le duc en était furieux. Son duché qui comprenait le Poitou, la Guyenne et la Gascogne était à lui seul plus vaste et plus riche qu’aucun autre, ridiculisant même les domaines de la couronne. Il ne pouvait laisser dire que ses gardes mieux armés et organisés que ceux du roi Louis le Gros ne parvenaient pas à mater une poignée de voleurs. Mais Raymond, désespérément, revenait bredouille.
    Ce dernier trouva son cheval harnaché, un bai qu’il aimait pour sa vigueur, s’en étonna, mais l’air complice du palefrenier le renseigna sur la provenance des ordres. Ainsi, elle savait ! Qu’à cela ne tienne ! Il enfourcha l’animal et sortit à son tour du palais. Quelques marchands l’aiguillèrent sur la route suivie par Aliénor et, sans plus attendre, il s’élança au grand galop sur ses traces.
    Le soleil déclinait sur l’estuaire lorsque Raymond rejoignit sa nièce. Il se contenta de la suivre de loin pour ne pas lui donner l’occasion de pavoiser et d’user davantage du pouvoir qu’elle savait exercer sur lui. Il l’aimait à en perdre l’âme, à s’en user le cœur. Elle l’envoûtait. Il la voyait devenir de jour en jour plus femme, et son désir d’homme se heurtait à leur parenté. Il apaisait son appétit charnel avec des servantes, maraudes sans importance. Mais, là encore, Aliénor semblait le deviner, le respirer, et troublait autant qu’elle le pouvait son intimité déjà recluse, à le rendre fou.
    Il pénétra dans la cour du monastère, laissa son cheval au frère Alburge qui l’accueillit, et, s’étant renseigné, se dirigea vers les jardins. Aliénor s’y promenait, qui échangeait, angélique, des propos anodins avec un moine. À sa vue, elle ne montra aucune surprise ; pourtant, son regard pétillait de malice. Il se demanda, les doigts brûlants, qui du diable ou de Dieu hantait cette demeure. L’abbé salua Raymond, lança quelques banalités sur l’éphémère des roses qui embaumaient le parterre, puis les laissa seuls.
    Aliénor s’avança jusqu’à un petit banc de pierre sous un arbre entouré de clématites. Prenant un air de sainteté qui ne pouvait tromper personne, elle lança d’une voix mélancolique :
    – Je vais me plaire ici…
    Raymond s’assit à ses côtés.
    – Qu’as-tu encore inventé ? L’eau de la Garonne était donc si froide que tu lui aies préféré celle du bénitier ?
    – Ne sois pas narquois, Raymond ! J’ai trouvé plus utile que mourir. De plus, le remords passant avec les années, tu m’oublierais et je ne le veux pas. J’ai décidé de prendre le voile.
    Raymond avait une furieuse envie de rire, cependant, il décida de jouer la prudence.
    – C’est une merveilleuse idée.
    La jeune fille tressaillit. Cela ne se passait pas comme elle l’avait prévu. Elle bredouilla :
    – Tu crois ?
    – Oui. C’est une sage décision. Qui satisfera tout le monde.
    – Que veux-tu dire ?
    Sa sérénité chancelait face au calme qu’affichait Raymond.
    « Touché », pensa-t-il.
    Il ne répondit pas. Il étira ses longues jambes et, croisant ses mains derrière sa nuque, s’adossa à l’arbre. Il était maître du jeu, il le sentait au frémissement des doigts d’Aliénor qui pétrissaient la dentelle d’un mouchoir. Il aurait aimé faire durer encore cet instant qui la forçait à baisser les yeux, mais il poussa un soupir satisfait, décidé à l’épargner. Il lança, rêveur, les yeux dans la floraison mauve :
    – Pouvoir me promener dans les couloirs du palais, embrasser et cajoler une chambrière, sans risquer d’entendre ton petit pas menu derrière la porte, sans redouter ta colère. Pouvoir venir ici, te confier, en frère, mes déceptions
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