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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor
Autoren: Mireille Calmel
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des couards. Mais Henri n’est qu’un nouveau-né ! N’est-ce pas folie que de songer si tôt à son devenir ?
    – Aliénor est déjà une pucelle, il est vrai, du même âge que ma Canillette, mais vous savez par expérience combien il est sage qu’une femme soit plus âgée que son époux. Imaginez la richesse du duché d’Aquitaine joint à celui de l’Anjou dans la corbeille d’épousailles du futur roi d’Angleterre. Sa puissance serait à même de tenir tête à tous, y compris au roi de France.
    – Soit. Je connais la valeur de tes conseils. Attendons que le petit Henri grandisse un peu, le temps d’écarter de lui les humeurs malignes des nourrissons. Lors, si sa force et son caractère se montrent prometteurs, nous agirons en ce sens.
    Puis les voix s’étaient estompées, et, faisant le chemin à reculons, j’avais regagné le rez-de-chaussée.
     
    Tandis que je m’abandonnais à ces proches souvenirs, une brise fine s’était levée. Devant moi, le soleil s’arrondissait sur l’horizon, auréolant l’azur sombre d’une étreinte de rose et de gris. Je frissonnai sous mon mantel. L’humidité de la terre gorgée par l’orage de la veille pénétrait la toile et mouillait mes cuisses avec insistance. L’Aquitaine ! On la disait belle, lumineuse, ensoleillée, chaleureuse par sa musique, ses vins et ses arts. J’appréciais les belles choses, tout ce qui, disait-on, coulait là-bas, comme coulait le fleuve en écartant les terres pour s’y frayer un passage et les enrichir. Ainsi c’était l’Aquitaine, cet endroit dont j’avais pressenti en songe l’importance ! J’en étais sûre à présent : ce pays me plairait.

2
     
     
    – Laisse-toi faire, ma douce, allons…
    – Messire, si quelqu’un entrait.
    Pour toute réponse, le jeune comte de Poitiers assit la chambrière à même la table et embrassant goulûment sa gorge délacée, glissa une main impatiente sous ses jupes. Elle s’alanguit en minaudant, laissant un regard vaporeux traîner sur l’embrasure de la porte par habitude. Monsieur le comte était si imprévisible !
    La silhouette qui s’y encadra soudain lui fit lâcher un petit cri que le jeune homme attribua à ses caresses plus précises. Il poussa plus loin son assaut, excité par les attributs offerts sans retenue, mais le grondement de fureur derrière lui ébranla d’un coup son ardeur :
    – Raymond ! Infâme dépravé !
    Son visage se glaça, et il s’écarta sans se retourner pour se rajuster. Refermant son corsage, la chambrière, écarlate, disparut par une porte opposée à celle où fulminait la jeune duchesse d’Aquitaine : Aliénor. De rage, celle-ci fit claquer à terre la cravache qu’elle tenait encore en main.
    – Bonne promenade, Aliénor ? lui demanda son oncle d’un air détaché, sans lui faire face.
    Il saisit un pichet de vin qu’il avait écarté pour installer les fesses charnues d’Isabeau et, avisant un gobelet d’argent, s’en versa une rasade.
    – Comment oses-tu ? Ici, chez moi ! Avec cette fille de rien ! Regarde-moi !
    Il se retourna lentement, un sourire amusé aux lèvres. Sa nièce, du haut de ses douze ans, était d’une jalousie maladive. La fureur la rendait encore plus belle, jetant des éclairs métalliques dans ses yeux verts. Elle revenait de promenade et avait sans doute galopé à vive allure, car quelques mèches de cheveux s’étaient défaites de sa coiffe et flottaient comme des flammèches dorées autour de son visage
    – Je n’ai rien fait de mal, Aliénor. Je t’assure que cette jeunette était consentante.
    Elle s’avança, meurtrière, levant sa cravache pour lui fouetter le visage, des mots rageurs entre ses dents de porcelaine :
    — Ignoble petit…
    Il bloqua le geste d’une poigne ferme, amusé.
    – Pas de cela, ma nièce, je ne suis pas ton palefroi !
    – Tu m’as trahie, fulminait-elle, essayant de dégager son poignet.
    Il força la main à lâcher le jonc et, lui tordant le bras derrière le dos, l’attira contre son torse massif. Elle poussa un cri de douleur, mais redressa la tête avec défi.
    – Assez, Aliénor !
    Elle lui cracha au visage pour toute réponse, se débattant de plus belle. Il resserra l’étreinte, conscient de lui faire mal. Si elle n’avait été sa nièce, il l’aurait soumise à son désir frustré, à lui en faire regretter sa hardiesse, et, l’espace d’une seconde, celui-ci réclama son dû avec tant de violence
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