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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor
Autoren: Mireille Calmel
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tonitruante de Bernier, le maréchal-ferrant, encourageait la joyeuse bande de menuisiers et de couvreurs rénovant son atelier. La tempête de vent et de grêle qui avait balayé le château la nuit précédant la naissance du jeune Henri avait emporté les toits de chaume. L’ouvrage pressait : rien ne devait égratigner l’œil et risquer de déplaire au seigneur et à ses invités. La demeure de Geoffroi le Bel était en fête.
    Je m’assis en tailleur à même la terre et attendis le lever du jour. De là, je pouvais voir en contrebas du donjon la petite ville s’éveiller lentement et, au loin par-dessus les lices, s’éclairer d’une palette de carmin et d’orange les champs d’orge, de blé, mais aussi ceux laissés en jachère sur lesquels ondulaient des brassées de coquelicots. Mais ce qui me plaisait avant tout était de ne pouvoir être vue de personne, dissimulée par le petit muret clôturant le jardin potager.
    Les gens m’aimaient bien ; pourtant, je recherchais peu la compagnie de ceux de mon âge. Je n’étais pas comme eux, et appréciais cette différence. La seule dont j’acceptais parfois l’approche était Bernaude, la fille du luthier. Elle était de mon âge, d’un faciès insipide sans être vraiment laid, mais certains la repoussaient à cause de l’effrayante cicatrice qu’elle portait au bras gauche, déchiqueté par les serres d’un faucon mal dressé. Malgré cette blessure, elle continuait à s’occuper des rapaces, et s’entendait avec eux, presque autant que moi. Notre amitié, cependant, s’arrêtait là.
    Il y avait aussi le frère Briscaut, mon précepteur. C’était un moine naïf au possible, qui se réjouissait par de grands gestes exubérants des connaissances que je paraissais assimiler avec une facilité qui le déconcertait. L’avantage certain que j’en retirais était qu’il me laissait libre de mes humeurs, préférant grandement somnoler que veiller une si fameuse élève, comme il se plaisait à le dire à mère et à dame Mathilde, ma marraine. Il m’amusait beaucoup, en fait. Il était rondouillard, à l’image d’une citrouille, dont il avait le teint par un curieux caprice de la nature. Mais il avait le cœur généreux et noble, même s’il affectionnait ce Dieu qui me laissait perplexe. J’étais croyante bien sûr, et avais été baptisée, mais je ne parvenais point à me trouver une ferveur catholique.
    Je me souviens qu’à l’aube de mes six ans, tourmentée de ne pas me sentir sous la menace d’une punition divine, je m’étais confiée à Guenièvre d’une voix pleine de remords. Mère avait éclaté d’un de ses rires joyeux qui ressemblaient à une brise printanière.
    – En voilà un grand souci, ma Canillette ! Tu ne dois pas t’inquiéter de si peu de chose ! Oublierais-tu que ta lignée connaît plus de magie que ce bon Jésus-Christ ? Lorsque le moment sera venu, je t’enseignerai la puissance d’une foi bien plus grande que celle des catholiques, alors tu sauras mettre en harmonie ton cœur et ton âme. Pour l’heure, crois ce que tu estimes vrai, mais ne le dévoile pas. Tu devras toute ta vie cohabiter avec le Dieu tout puissant de l’Église et nourrir à son égard le plus grand respect. Écoute ton cœur, il sait ce qui est juste et te guidera…
    Au fil des ans, en découvrant la force de mes origines, en étudiant les astres, les secrets des plantes et des éléments avec mère, j’avais fini par ne plus me soucier de cette conscience intuitive et accepté de ne pas railler frère Briscaut lorsqu’il me racontait la Genèse.
     
    Je laissai mes pensées vagabonder sur les événements de la nuit encore proche, engourdie par un sommeil qui, m’ayant fuie longtemps, me rattrapait à présent.
    Depuis une semaine, les festivités allaient bon train au château. Tous les vassaux de Geoffroi le Bel étaient venus rendre hommage au jeune Henri. Mathilde, qui affectionnait les réjouissances, avait convié jongleurs, trouvères et amuseurs de toutes sortes pour donner un air de cour à sa demeure. Geoffroi aimait recevoir ses vassaux autant que la noblesse qu’il logeait dans le donjon ou ses dépendances, selon son bon vouloir et la faveur dont ils disposaient. Chacun, connaissant ses brusques et violentes colères, s’accommodait de son sort, dans une atmosphère de liesse.
    Geoffroi le Bel était un être d’envergure, fort, solide, à l’esprit vif et prompt, habile et rusé, mais aussi
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