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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor
Autoren: Mireille Calmel
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    Je ne m’aimais pas. Et, cette nuit, moins encore que d’ordinaire. En ce 16 mai de l’an de grâce 1133, personne n’avait besoin de moi.
    J’avais beau apprécier l’attente, je guettais chaque pas affairé dans le corridor, chaque craquement des planchers disjoints, chaque son de voix qui franchissait ma porte fermée ou montait par le conduit de la cheminée et gazouillait dans l’âtre éteint.
    Je guettais, avec ce sentiment de plus en plus oppressant de solitude, « l’instant ». L’instant où s’ébranleraient les cloches de la cathédrale d’Angers, si proche du château qu’elles feraient trembler les murailles de pierre.
    Dame Mathilde, duchesse de Normandie, comtesse d’Anjou, du Maine et de Touraine, petite-fille de Guillaume le Conquérant et prétendante légitime à la couronne d’Angleterre, enfantait dans l’hospice, au bas de l’escalier de bois, et j’étais là, inutile, rejetée, quand je frémissais de savoir l’enfant si proche ; reléguée comme la moins efficace des servantes par mère qui, elle, était tout dans cette maisonnée : ventrière, conseillère, astrologue, apothicaire, régisseur… sorcière. Et moi, je n’étais rien ! Rien qu’une fillette malingre de douze ans, perchée sur des jambes qui ressemblaient à des piquets de barrière et que je n’aimais pas davantage que le reste. Ni mes cheveux entre le blond et le roux, ni mes yeux désespérément grands dans ma figure longue tapissée de taches de rousseur. J’étais laide. Laide de ne servir à rien quand mère était tout.
    Elle m’avait envoyée tantôt dans les bois alentour ramasser des simples dont elle avait prétendu la nécessité. Ils étaient là, posés sur une table dans ma chambre. Lorsque je m’étais avancée, fière de mon importance, aux portes de l’hospice où dame Mathilde hurlait, mère m’avait frotté le crâne, emmêlant mes boucles rebelles malgré mes longues nattes.
    – Plus tard, Canillette. La comtesse est faible, l’enfant naîtra avec la pleine lune. Il sera gros et vigoureux. Sa venue est difficile. Chacun a sa part de besogne, et ta petite frimousse curieuse ne pourrait que gêner. Va.
    – Mais ceci, mère, avais-je insisté en tendant mon panier.
    — Plus tard, plus tard.
    Et la porte s’était refermée, me livrant seulement le spectacle de dame Mathilde, les cheveux collés sur son front blême et dégoulinant, le visage crispé par l’effort, les mains agrippées à une table qui lui faisait face, debout, jambes écartées, le bas de sa chemise blanche maculé de sang, entourée de trois ventrières qui s’activaient.
    J’étais montée me réfugier dans ma chambre en tremblant d’effroi devant pareil spectacle. Car, de la grande Mathilde, imposante et fière, il ne restait rien en cette heure. Celle qui était ma marraine me paraissait un monstre hideux possédé par quelque diable tourmenteur.
    Peut-être fallait-il prier. Prier de toute mon âme pour qu’il la laisse tranquille. Sottise ! Ineptie ! Dieu avait bien mieux à faire ! Et puis quoi ? Que savait-il de cette douleur d’enfantement ? Non, il valait mieux que j’en appelle à notre mère à tous.
    Je levai les yeux vers la croisée tendue de papier huilé que j’avais ouverte sur le couchant lourd, chargé de nuages d’orage. La lune s’y découpait par intermittence, ronde et pleine comme le ventre de Mathilde, ronde comme cette table qui trônait depuis l’avènement du roi Arthur sur l’Angleterre, ronde comme les yeux de Merlin l’Enchanteur dont j’étais la descendante… Ronde comme ce panier.
    Alors, brusquement, mon angoisse disparut.
    – Merci, mère ! murmurai-je à cette lune dont le visage souriant éclairait sans cesse ma vie.
    Car l’Église aurait beau faire, j’appartenais à la lignée des grandes prêtresses d’Avalon, des druides et des fées, et ce n’était pas ce Dieu triste et hypocrite qui parviendrait jamais à tuer les anciens rites, mes croyances comme celles de ma race. J’aimais bien trop la vie, j’avais bien trop acquis déjà de ce savoir que les prêtres nous contraignaient à oublier.
    Je fouillai dans un buffet en aulne et extirpai fébrilement un petit mortier en bois de cerisier. Puis, cueillant en coupe dans mes mains les simples abandonnés trop tôt, je les laissai tomber dans le récipient.
    – Si mère n’en veut pas, moi, Loanna de Grimwald, par le pouvoir des trois cercles de vie, je leur donne
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