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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion
Autoren: Maurice Druon
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Au nom du Fils… du Saint-Esprit… dit-il en répétant le geste sur
l’index, puis sur le médius.
    Enfin il glissa la bague au
quatrième doigt en disant :
    — Amen !
    Elle était sa femme.
    Comme toute mère qui marie son fils,
la reine Isabelle avait les larmes aux yeux. Elle s’efforçait de prier Dieu
d’accorder à son enfant toutes les félicités, mais pensait surtout à elle-même,
et souffrait. Les jours écoulés l’avaient amenée à ce point où elle cessait
d’être la première dans le cœur de son fils et dans sa maison. Non, certes, qu’elle
eût, ni pour l’autorité sur la cour, ni pour la comparaison de beauté,
grand-chose à redouter de cette petite pyramide de velours et de broderies que
le destin lui allouait comme belle-fille.
    Droite, mince et dorée, avec ses
belles tresses relevées de chaque côté du visage clair, Isabelle à trente-six
ans en paraissait à peine trente. Son miroir longuement consulté le matin même,
tandis qu’elle coiffait sa couronne pour la cérémonie, l’avait rassurée. Et
pourtant, à partir de ce jour, elle cessait d’être la reine tout court pour
devenir la reine-mère. Comment cela s’était-il fait si vite ? Comment
vingt ans de vie, et traversés de tant d’orages, s’étaient-ils dissous de la
sorte ?
    Elle pensait à son propre mariage,
il y avait tout juste vingt ans, une fin de janvier comme aujourd’hui, et dans
la brume également, à Boulogne en France. Elle aussi s’était mariée en croyant
au bonheur, elle aussi avait prononcé ses vœux d’épousailles du plus profond de
son cœur. Savait-elle alors à qui on l’unissait, pour satisfaire aux intérêts
des royaumes ? Savait-elle qu’en paiement de l’amour et du dévouement
qu’elle apportait, elle ne recevrait qu’humiliations, haine et mépris, qu’elle
se verrait supplantée dans la couche de son époux non pas même par des maîtresses
mais par des hommes avides et scandaleux, que sa dot serait pillée, ses biens
confisqués, qu’elle devrait fuir en exil pour sauver sa vie menacée et lever
une armée pour abattre celui-là même qui lui avait glissé au doigt l’anneau
nuptial ?
    Ah ! la jeune Philippa avait
bien de la chance, elle qui était non seulement épousée mais aimée !
    Seules les premières unions peuvent
être pleinement pures et pleinement heureuses. Rien ne les remplace, si elles
sont manquées. Les secondes amours n’atteignent jamais à cette perfection
limpide ; même solides jusqu’à ressembler au roc, il court dans leur
marbre des veines d’une autre couleur qui sont comme le sang séché du passé.
    La reine Isabelle tourna les yeux
vers Roger Mortimer, baron de Wigmore, son amant, l’homme qui, grâce à elle
autant qu’à lui-même, gouvernait en maître l’Angleterre au nom du jeune roi.
Sourcils joints, les traits sévères, les bras croisés sur son manteau
somptueux, il la regardait, dans la même seconde, sans bonté.
    « Il devine ce que je pense, se
dit-elle. Mais quel homme est-il donc pour donner l’impression qu’on commet une
faute dès qu’on cesse un moment de ne songer qu’à lui ? »
    Elle connaissait son caractère
ombrageux, et lui sourit pour l’apaiser. Que voulait-il de plus que ce qu’il
possédait ? Ils vivaient comme s’ils eussent été époux et femme, bien
qu’elle fût reine, bien qu’il fût marié, et le royaume assistait à leurs
publiques amours. Elle avait agi de sorte qu’il eût le contrôle entier du
pouvoir. Mortimer nommait ses créatures à tous les emplois ; il s’était
fait donner tous les fiefs des anciens favoris d’Édouard II et le Conseil
de régence ne faisait qu’entériner ses volontés. Mortimer avait même obtenu
qu’elle consentît à l’exécution de son conjoint déchu. Elle savait qu’à cause
de lui certains à présent l’appelaient la Louve de France ! Pouvait-il
empêcher qu’elle pensât, un jour de noces, à son époux assassiné, surtout
lorsque l’exécuteur était là, en la personne de John Maltravers, promu
récemment sénéchal d’Angleterre, et dont la longue face sinistre apparaissait
parmi celles des premiers seigneurs, comme pour rappeler le crime ?
    Isabelle n’était pas la seule que
cette présence indisposât. John Maltravers, gendre de Mortimer, avait été le
gardien du roi déchu ; sa soudaine élévation à la charge de sénéchal
dénonçait trop clairement les services dont on l’avait ainsi
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