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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion
Autoren: Maurice Druon
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affirmé possède aussi
cette puissance, provoque cette adhésion de tous à l’émotion d’un seul.
    Il n’était pas une femme dans
l’assistance, et quel que fût son âge, pas une mariée récente, pas une épouse
trompée, pas une veuve, pas une pucelle, pas une aïeule, qui ne se sentît en
cet instant-là à la place de la nouvelle épousée ; pas un homme qui ne
s’identifiât au jeune roi. Édouard III s’unissait à tout ce qu’il y avait
de féminin dans son peuple ; et c’était son royaume tout entier qui
choisissait Philippa pour compagne. Tous les rêves de la jeunesse, toutes les
désillusions de la maturité, tous les regrets de la vieillesse se dirigeaient
vers eux comme autant d’offrandes jaillies de chaque cœur. Ce soir, dans les
rues sombres, les yeux des fiancés illumineraient la nuit, et même de vieux
couples désunis se reprendraient la main après souper.
    Si depuis le lointain des temps les
peuples se pressent aux mariages des princes, c’est pour vivre ainsi par
délégation un bonheur qui, d’être exposé si haut, semble parfait.
    — …  till death us do
part … jusqu’à ce que la mort nous sépare…
    Les gorges se nouèrent ; la
place exhala un vaste soupir de surprise triste et presque de réprobation. Non,
il ne fallait pas parler de mort en cette minute ; il n’était pas possible
que ces deux jeunes êtres eussent à subir le sort commun, pas admissible qu’ils
fussent mortels.
    — …  and thereto I
plight thee my troth … et pour tout ceci je t’engage ma foi.
    Le jeune roi sentait respirer la
multitude, mais ne la regardait pas. Ses yeux bleu pâle, presque gris, aux
longs cils pour une fois relevés, ne quittaient pas la petite fille roussote et
ronde, empaquetée dans ses velours et ses voiles, à laquelle son vœu
s’adressait.
    Car Madame Philippa ne ressemblait
en rien à une princesse de conte, et elle n’était même pas très jolie. Elle
présentait les traits grassouillets des Hainaut, un nez court, un cou bref, un
visage couvert de taches de son. Elle n’avait pas de grâce particulière dans la
tournure, mais au moins elle était simple et ne cherchait pas à affecter une
attitude de majesté qui ne lui eût guère convenu. Privée d’ornements royaux,
elle eût pu être confondue avec n’importe quelle fille rousse de son âge ;
ses semblables se rencontraient par centaines dans toutes les nations du Nord.
Et ceci précisément renforçait la tendresse de la foule à son égard. Elle était
désignée par le sort et par Dieu, mais non différente, en essence, des femmes sur
lesquelles elle allait régner. Toutes les rousses un peu grasses se sentaient
promues et honorées.
    Émue, elle-même, à en trembler, elle
plissait les paupières comme si elle ne pouvait soutenir l’intensité du regard
de son époux. Tout ce qui lui advenait était trop beau. Tant de couronnes
autour d’elle, tant de mitres, et ces chevaliers et ces dames qu’elle
apercevait à l’intérieur de la cathédrale, rangés derrière les cierges comme
les élus en Paradis, et tout ce peuple autour… Reine, elle allait être reine, et
choisie par amour !
    Ah ! combien elle allait le
choyer, le servir, l’adorer, ce joli prince blond, aux longs cils, aux mains
fines, arrivé par miracle vingt mois auparavant à Valenciennes, accompagnant
une mère en exil qui venait quérir aide et refuge ! Leurs parents les
avaient envoyés jouer dans le verger, avec les autres enfants ; il s’était
épris d’elle, et elle de lui. À présent il était roi et ne l’avait pas oubliée.
Avec quel bonheur elle lui vouait sa vie ! Elle craignait seulement de n’être
pas assez belle pour lui plaire toujours, ni assez instruite pour le pouvoir
bien seconder.
    — Offrez, Madame, votre main
droite, lui dit l’archevêque-primat.
    Aussitôt, Philippa tendit hors de la
manche de velours une petite main potelée, et la présenta fermement, paume en
avant et doigts ouverts.
    Édouard eut un regard émerveillé
pour cette étoile rose qui se donnait à lui.
    L’archevêque prit, sur un plateau
tenu par un second prélat, l’anneau d’or plat, incrusté de rubis, qu’il venait
de bénir, et le remit au roi. L’anneau était mouillé, comme tout ce qu’on
touchait dans cette brume. Puis l’archevêque, doucement, rapprocha les mains
des époux.
    — Au nom du Père, prononça
Édouard en posant l’anneau, sans l’engager, sur l’extrémité du pouce de
Philippa.
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