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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion
Autoren: Maurice Druon
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dit le comte de Beaumont, Robert d’Artois, à son cousin et beau-frère
Philippe de Valois. Et cette fois, avait-il ajouté, nous ne nous laisserons pas
gagner à la course par ma tante Mahaut. D’ailleurs elle n’a plus de gendre à
pousser.
    Ces deux-là se montraient en belle
santé. Robert d’Artois, à quarante et un ans, était toujours le même colosse
qui devait se baisser pour franchir les portes et pouvait terrasser un bœuf en
le prenant par les cornes. Maître en procédure, en chicane, en intrigues, il
avait assez prouvé depuis vingt ans son savoir-faire, et par les soulèvements
d’Artois, et dans le déclenchement de la guerre de Guyenne, et en bien d’autres
occasions. La découverte du scandale de la tour de Nesle était un peu le fruit
de ses œuvres. Si la reine Isabelle et son amant Lord Mortimer avaient pu
réunir une armée en Hainaut, soulever l’Angleterre et renverser
Édouard II, c’était en partie grâce à lui. Et il ne se sentait pas gêné
d’avoir sur les mains le sang de Marguerite de Bourgogne. Au Conseil du faible
Charles IV, sa voix, dans les récentes années, s’élevait plus fermement
que celle du souverain.
    Philippe de Valois, de six ans son
cadet, ne possédait pas tant de génie. Mais haut et fort, la poitrine large, la
démarche noble, et faisant presque figure de géant quand Robert n’était pas à
côté de lui, il avait une belle prestance de chevalier qui prévenait en sa
faveur. Et surtout il bénéficiait du souvenir laissé par son père, le fameux
Charles de Valois, le prince le plus turbulent, le plus aventureux de son
temps, coureur de trônes fantômes et de croisades manquées, mais grand homme de
guerre, et dont il s’efforçait de copier la prodigalité et la magnificence.
    Si Philippe de Valois jusqu’à ce
jour n’avait pas encore étonné l’Europe par ses talents, on lui accordait
toutefois confiance. Il brillait en tournois, qui étaient sa passion ;
l’ardeur qu’il y déployait n’était pas chose négligeable.
    — Philippe, tu seras régent, je
m’y engage, disait Robert d’Artois. Régent, et peut-être roi, si Dieu le veut…
c’est-à-dire si dans deux mois la reine, ma nièce [2] , qui est déjà grosse
jusqu’au menton, n’accouche pas d’un fils. Pauvre cousin Charles ! Il ne
verra pas cet enfant-là qu’il souhaitait tant. Et même si ce doit être un
garçon, tu n’en exerceras pas moins la régence pour vingt ans. Or, en vingt ans…
    Il prolongeait sa pensée d’un grand
geste du bras qui en appelait à tous les hasards possibles, à la mortalité
infantile, aux accidents de chasse, aux desseins impénétrables de la
Providence.
    — Et toi, loyal comme je te
sais, continuait le géant, tu agiras pour qu’on me restitue enfin mon comté
d’Artois que Mahaut la voleuse, l’empoisonneuse, détient injustement, ainsi que
la pairie qui s’y rattache. Songe que je ne suis pas même pair ! N’est-ce
pas bouffon ? J’en ai honte pour ta sœur qui est mon épouse.
    Philippe avait abaissé par deux fois
son grand nez charnu, et fermé les paupières d’un air entendu.
    — Robert, je te rendrai bonne
justice, si je suis mis en état de l’administrer. Tu peux compter sur mon
soutien.
    Les meilleures amitiés sont celles
qui se fondent sur des intérêts communs et la construction d’un même avenir.
    Robert d’Artois, auquel aucune tâche
ne répugnait, se chargea d’aller à Vincennes faire entendre à Charles le Bel
que ses jours étaient comptés et qu’il avait quelques dispositions à prendre,
comme de convoquer les pairs de toute urgence, et de leur recommander Philippe
de Valois pour assurer la régence. Et même, afin de mieux éclairer leur choix,
pourquoi ne pas confier à Philippe, dès à présent, le gouvernement du royaume,
en lui déléguant les pouvoirs ?
    — Nous sommes tous mortels,
tous, mon bon cousin, disait Robert, éclatant de santé, et qui faisait trembler
par son pas puissant le lit de l’agonisant.
    Charles IV n’était guère en
capacité de refuser, et trouvait même du soulagement à ce qu’on le délivrât de
tout souci. Il ne songeait qu’à retenir sa vie qui lui fuyait entre les dents.
    Philippe de Valois reçut donc la
délégation royale et lança l’ordre de convocation des pairs.
    Robert d’Artois, aussitôt, se mit en
campagne. D’abord auprès de son neveu d’Évreux, garçon jeune encore, vingt et
un ans, de gentille tournure, mais assez peu
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