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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines
Autoren: Pierre Naudin
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une charogne d’homme grouillante de vers tirés d’un brasier et qui se repaissaient, eux aussi, de ses muscles et de ses viscères. Toute trêve à ses douleurs, à ses terreurs, amorçait un sursaut vers d’autres horreurs, d’autres tourments, jamais plus courts et jamais moins affreux. L’abîme où il gisait s’éclaboussait de sang.
    Assez !… Il lui fallait sortir de ce marasme abominable. Impossible : outre qu’il avait perdu sa vigueur et sa volonté, des liens le retenaient sur sa couche. La vision nauséeuse d’un chevalier acharné à sa destruction alternait avec des images fugaces et rassurantes : une femme aux cheveux d’or sous de grands arbres frémissants, un enfançon dans les bras ; des gens rieurs autour d’elle ; un cheval noir, un grand chien jaune ; un vieillard souffreteux qui l’appelait en vain…
    Une éruption de mal lui laboura le flanc. Il hurla, tailladé par il ne savait quoi. Une déchirure des ténèbres découpa, au-dessus de lui, un triangle de lumière. Une forme grise se mouvait sans hâte à son chevet ; de l’autre côté, deux autres, immobiles, projetaient sur son corps insondablement meurtri des ombres tressaillantes.
    —  Il ne sait plus rien de ce qu’il était… Je suis certain de sa sincérité et j’ai, vous le savez, une dette envers un Normand [8] .
    — Cet homme est un ennemi !
    — Il méritait de vivre, Richard !… Je n’ai guère de pitié envers tous les Franklins, mais j’ai plaisir à tenter de sauver celui-là… Par trois fois, il a crié « Normandie »… Or, je me souviens de ce Normand qui me fit obtenir un sauf-conduit pour venir jusqu’ici… Il lui ressemblait… Certes, ce n’était pas lui, mais il était droit, honnête !
    — Plus que son suzerain, messire !
    Il entendait malgré les chuintements de son oreille. Était-ce le jour ? Pourquoi cette rémission ? Allait-il trépasser ? Au-delà de ces trois fantômes bien en vie, quelque chose de bleu et de rouge flottait… Nuage ?… Bannière ! La soie en clignotait sur l’azur d’un ciel moutonneux… Oui, c’était cela : le ciel… Une bannière… Les ombres s’écartaient… Il y avait une sorte d’échafaud… Non : une machine de guerre… Un ribaudequin, sans doute… Des murs très hauts… Un fourmillement d’hommes dont la vivacité, les mouvements et les cris évoquaient les apprêts d’une fête.
    —  Croyez-vous qu’il vivra, Tilford ?
    — Mon pronostic, messire, est moins désespéré. Si Dieu aime cet homme, s’Il lui reconnaît, comme vous, des mérites, Il doit vous aider… Sinon, ce guerrier périra avant nonne [9] . S’il vit, il lui faudra repos et bonne chère.
    — J’y pourvoirai.
    Des ombres se penchèrent. Silence lourd. On l’examinait. Il n’osa déclore ses paupières : c’eût été perdre une parcelle de vie.
    —  Ouvrant à demi une côte, l’acier de Cobham est passé tout près de son cœur… L’autre coup pouvait être mortel, or, le gros intestin et les boyaux n’ont pas été ouverts… Par contre, le foie est atteint, mais nullement dans ses parties essentielles. Quant aux autres navrures, elles ne sont pas pires que celles auxquelles j’apporte mes soins après une bataille. Mais…
    — Mais ?
    — Il s’est quasiment vidé de son sang. S’il vit, qui le soignera sur notre île ?… Pensez-vous à quelqu’un ?
    — Hélas ! non… Je sais que vous tenez à demeurer céans, Tilford. Mon épouse lui viendra en aide. L’Angleterre, que je sache, ne manque pas de médecins pleins de clergie, en particulier Gaddesten [10] . S’il refuse ou est absent, je dirai à Marguerite de mander auprès d’elle le mire de Charles de Blois… qui ne doit pas être loin d’où nous sommes.
    — Ainsi donc, messire, le prince a quitté Vannes !… Il est remis des blessures que les nôtres lui portèrent à la Roche-Derrien [11]  !
    — Petitement rétabli, selon le roi qui vient de recevoir un message. La nef où il gît, l’Édouarde, sera bientôt en vue de Calais où elle fera escale. Si ce jeune Normand vit encore, nous l’y ferons embarquer et placer sous surveillance… N’est-ce pas, Richard ?
    — Il en sera fait, messire, selon votre volonté… Oh ! messires !… Voyez : il ouvre les yeux !
    Un effort… Parler… «  Allons, parle ! » Les mots… Trouver les mots…
    — Je vais mourir… J’ai trop mal… Otez ces crabes qui me mangent !
    —  La fièvre
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