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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines
Autoren: Pierre Naudin
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et clore ses paupières.
    Un ciel glauque rougi par le soleil tout près de son naufrage dans une mer en morte-eau. Des friches au milieu desquelles fumait le noir squelette d’un beffroi. Partout à l’entour, des morts et des mourants hérissés de sagettes… C’était à ce moment d’une victoire chèrement acquise, mais absolue, que la cruelle connivence entre sa fatigue, son émoi et son inconséquence, lui était apparue.
    Ah ! la première sensation de la chair profondément tranchée sans qu’une écorce de fer eût amorti le heurt de la lame adverse… De cela, il se souvenait. Et s’il savait aussi qu’il n’avait pas voulu restreindre ses plates il en ignorait la raison.
    Un chevalier fervêtu croisait son épée à la sienne. Malgré le poids de son armure, cet Anglais se mouvait avec une légèreté plus terrifiante encore que son habileté. Sa lame rutilait aux braises du soleil. Ointe de son sang à lui, le Franklin… La sienne, hélas ! qui jusque-là n’avait failli ni à l’honneur ni à la tâche, tenait à peine dans ses mains molles.
    « Dieu m’abandonne ! »
    Une sensation atroce le traversa : une sagette ronflait et pénétrait dans son épaule.
    Puis il se sentit percé d’une estocade au ventre.
    L’endurance et l’habileté du Goddon ne cessaient de se révéler supérieures aux siennes. Et pour cause : son corps, ses muscles, sa vue, son souffle n’avaient jamais été mis à contribution lors de l’attaque.
    « Il sait qu’il va m’occire… que ma vigueur et mon sang m’abandonnent. Il prend son temps… J’ai mal ! Maudit soit ce malandrin ! »
    Il chavirait, roulait sur une pente abrupte, cassant la flèche dont il enfonçait profondément le dardillon dans son dos. Il n’en finissait pas de tomber, de hurler ; il maintenait toujours son épée dans son poing ; il savait que ce guerrier détestable le suivait à grands pas sur des herbes feutrées de mousses veloutées.
    C’était en cet endroit que sa lame avait chu.
    Quel était son passé ? Parfois, comme à présent, alors qu’il se tordait sur sa couche, il craignait de réintégrer des réalités affligeantes et délétères. Les souffrances reçues – où et quand ? – et les douleurs présentes dessinaient, sous ses paupières, des contrées et des figures qui ne signifiaient rien.
    « J’étais un chevalier… Je suis un chevalier ! »
    En quel lieu gisait-il maintenant ? Depuis combien de jours durait cette géhenne ? Quelque effort qu’il accomplît pour exhumer d’autres événements que ceux de sa défaite, sa pensée réfutait toute persévérance. Parviendrait-il enfin à se remémorer autre chose  ? À donner un nom aux formes et aux visages qui parfois imprégnaient sa cervelle ? À revivre d’autres mouvements que ceux qu’il avait déployés pour défendre sa vie ? À fournir une explication à sa présence auprès d’une meute de gens du commun courant sous une bannière dont il ne savait plus les couleurs et les pièces ? Même là, dans ce lit, en dépit d’un incessant martyre, son esprit demeurait clair. L’essentiel l’avait déserté… Qui était-il ? Quel âge ? Quelle tête ? Quelle famille ? Que signifiaient ces visions de guerre peuplées d’ombres si peu familières ? Par quelle volonté extérieure à la sienne tout ce qui avait composé sa vie s’était-il dissipé ? Ce qu’il apercevait ou croyait apercevoir s’ennuageait sitôt que sa lucidité se disposait à en saisir le sens.
    « Je suis le chevalier d’un pays verdoyant… »
    Et ensuite ? Il tressaillait parfois à des appels de voix, à des apparitions vives, colorées, fugitives. Après ces commotions où des fantômes de chair, des fragments de campagne, des sabotements de cheval – un roncin ténébreux –, des aboiements lugubres – ceux d’un chien jaune – se mêlaient et se dilacéraient, l’immobilité fournissait un répit à ses maux, allégeait son corps, ramenait en lui une espèce de sérénité : il saurait, il allait savoir. Son sang s’était écoulé comme le vin d’un tonneau mis en perce ; ses souvenirs s’étaient asséchés dans son crâne. Était-il sur le point de perdre la raison ?
    Un guerrier l’observait. Il enlevait son bassinet. Il était roux, et c’était un géant. Il souriait… Il était anglais. Il s’appelait… Il s’appelait…
    — Qui es-tu ?… Réponds-moi !
    Il avait hurlé. Ses mains étaient passées au
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