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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines
Autoren: Pierre Naudin
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travers de cet homme qui pourtant existait.
    —  On est amis !… Délivre-moi !
    Il entendit un rire et cilla des paupières. On s’ébaudissait de lui. Dans le passé ou maintenant ?… Cette voix, c’était celle du porte-oriflamme. Ils se détestaient. « Tu dois savoir son nom. Domine ton esprit comme un cheval rétif… » Jaillissant de toutes ses blessures, les douleurs trop connues l’enveloppèrent dans un réseau de braises et d’acides.
    — À l’aide !… Dieu !… J’ai soif ! J’ai soif !
    Deux mains robustes pesèrent sur ses épaules, fermement mais sans dureté. Une voix murmura tout près de son oreille qu’un feu tenace dévorait :
    — Par Dieu et Notre-Dame, si vous tenez à la vie, efforcez-vous de ne point trop remuer !
    Il écarquilla les yeux ; le brouillard qui les occultait se dissipa, emporté par de grosses larmes.
    L’homme vêtu de fer qui se penchait sur lui était grand, massif, à en juger par l’ampleur de son gorgerin et de ses épaulières. Il posa un genou en terre et saisit une main inerte.
    — Oyez bien, compagnon, ce que je vais vous dire et faites-en votre profit… Vous demeurez en grand péril de mort, bien qu’il y ait un petit mieux dans votre état… Je suis arrivé trop tard pour empêcher un combat inégal mais, à votre façon de vous défendre, j’ai deviné en vous un gaillard sachant guerroyer… Je vous ai fait porter sous mon pavillon… Quelles que soient l’âpreté de vos souffrances et la violence de votre désespoir, résistez à l’idée que vous êtes perdu… Répétez-vous inlassablement que vous allez vivre… J’ai fait curer [3] vos plaies. Leur état s’améliore. Le mire qui vous aide à vivre est dans Calais… Voilà deux jours qu’il se dévoue pour que vous guérissiez. Sa servante, durant deux nuits et celle-ci, bien sûr, n’a guère quitté votre chevet. Il y a tant de gens épuisés dans Calais que tous nos mires – et surtout le meilleur d’entre eux : Tilford – sont accablés de fatigue.
    — Calais ?
    — Oui, Calais… Eh bien, quoi ? Vous ne connaissez pas cette cité, du moins son nom ?
    — Nullement… J’enrage… J’ai perdu, semble-t-il, la mémoire… et pourtant je sais parler… Je vous réponds… Je sais des choses… sauf mon nom.
    — Tout cela reviendra, j’en suis sûr, avec votre vigueur. Vous avez été tellement ébranlé par les coups d’estoc et de taille !… Eh bien, je vais vous dire, moi, ce qu’il en est de la male aventure qui vous a conduit sous mon tref [4] . À peine arrivé sur les falaises, votre suzerain, le roi trouvé, Philippe VI, a précipité, sous votre commandement sans doute, les manants des communes du Tournaisis à l’assaut de la tour de Sangatte, qui était nôtre et qui fut bellement défendue… La possession de cette tour ne changeait rien au sort des gens de Calais assiégés par notre armée depuis un an… Une fois cette tour prise – il y eut trente-cinq morts –, votre roi a tourné bride et s’en est allé manger… Il nous a envoyé ses ambassadeurs pour livrer bataille et ses cardinaux pour conclure une trêve !… Il ne sait ce qu’il veut…
    — J’ignore qui je suis et tout ce que j’ai fait… Point de traces, d’indices. Parfois, il m’advient d’ouïr des voix. Toutes crient…
    Ces hurlements appartenaient aux litanies de la guerre. Ils n’exprimaient que la haine, la souffrance, l’encouragement à meurtrir ou à se garder. Comment se serait-il retrouvé dans ces appels, ces lamentations, ces invectives ?
    — Votre esprit guérira tout comme votre corps… Patience !
    Cet homme méritait des égards sans partage. Un preux. Lourde mâchoire, nez petit, en boule ; dessous, une moustache brune, fine, pendant aux commissures de la bouche et des cheveux touffus, quoique coupés à l’écuelle. Sa lèvre inférieure exprimait, par une lippe continuelle, la compassion, et ses yeux bruns, sous des sourcils épais, révélaient une admiration sincère.
    — Si vous ne savez qui vous êtes, vous devez sûrement ignorer qui je suis. Mon nom est Gauthier de Masny… En avez-vous ouï-parler [5]  ?
    — Hélas ! non… bien que tout au fond de mes pensées quelque chose me dise que sans vous avoir approché… Nous sommes ennemis… et vous êtes anglais…
    Il ne put poursuivre. Le mal le rongeait, le déchiquetait ; l’on eût dit cent rats accrochés à ses plaies. Il sentit une main se poser sur
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