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Le jeu de dupes

Le jeu de dupes

Titel: Le jeu de dupes
Autoren: Anne-Laure Morata
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de choc, ne seraient pas d'une grande utilité et il repartit en sens inverse, traversant en hâte les corridors, pour émerger dans la cour pavée puis franchir en trombe le pont-levis. Les traces au sol prouvaient le passage d'une bande de cavaliers qui avait longé les douves pour se diriger vers le nord. Retournant rapidement aux écuries où se reposait son alezan, il sella le pur-sang de Nolwenn, décidé à pourchasser les assaillants et à délivrer sa femme lorsqu'ils feraient une halte.
    François partit au galop, malheureusement la neige tombait de plus en plus dru et son espoir de rattraper les agresseurs disparaissait au fur et à mesure de son avancée et de l'effacement progressif de leur piste. Arrivé au croisement menant à la grand-route il s'arrêta, indécis. Ce fut ce qui sauva Gervais. Le malheureux tentait désespérément de s'extraire du profond fossé où on l'avait laissé pour mort.
    – Monsieur, par ici…
    Son maître se précipita pour l'aider. Le valet n'était que légèrement blessé mais à bout de forces.
    – Sais-tu par où sont partis ces brigands et ce qu'ils ont fait de mon épouse ?
    – J'ai essayé de sauver Madame ; hélas, ils étaient trop nombreux. Alors j'ai voulu les suivre,seulement ils m'ont repéré et m'ont tiré dessus. Mon pauvre cheval est mort et, vu notre chute, ils ont cru que je m'étais également rompu les os.
    – Est-elle blessée ?
    – Je ne crois pas. Elle résistait en les traitant d'assassins… On ne les rejoindra plus, ils sont partis depuis trop longtemps. Je suis désolé, je n'ai rien pu faire…
    Gervais, accablé, baissait la tête.
    – Ne te reproche rien. Tu as tenté tout ce qui était possible, voulut le rassurer François, touché par le désarroi de son serviteur.
    Il connaissait mieux que quiconque la dévotion totale du domestique envers Nolwenn, elle qui lui rappelait tant sa défunte maîtresse, la regrettée Sylvaine.
    – Ce qui prime c'est que Nolwenn soit en vie. À part une rançon je ne vois pas ce que ces charognes peuvent vouloir. Tu les avais déjà croisés ?
    Gervais secoua la tête à regret.
    – Non, Monsieur, mais c'est bien après Madame qu'ils en avaient. Ce n'était pas de simples soudards comme on en rencontre trop souvent. Ils étaient en mission commandée. Leur chef s'est réjoui à haute voix de la récompense qu'ils allaient toucher. Dans la cour du château, quand il traînait Madame, je l'ai clairement entendu dire qu'on l'attendait à Paris et que Madame devrait rendre des comptes. Comme elle résistait, il s'est énervé et a laissé échapper un « foi de Crochu tu vas te calmer, maudite femelle », sauf votre respect, Monsieur. Je suis certain d'avoir entendu ce nom-là.
    François, abasourdi par ces propos, tentait d'en comprendre la signification. Un gémissement duvalet le tira de sa torpeur. Continuer la poursuite seul, à la nuit tombée, en abandonnant Gervais en sang sous la neige était impossible, aussi résista-t-il à l'élan suicidaire qui l'incitait à continuer sa traque, repoussant l'angoisse insoutenable qui l'étreignait à l'idée de perdre celle qu'il aimait, et il aida son domestique à se mettre en selle. Maintenant le blessé contre lui, François se força à se concentrer sur un plan d'action tandis que Gervais se mordait la langue pour ne pas crier. C'est dans le silence irréel de la campagne enneigée que le duo regagna Mont Menat.
    1 Voir L'héritier des pagans .

2
    Paris, début février 1651
    Ninon de Lenclos rentrait chez elle après avoir rendu visite à Paul Scarron, infiniment attristée par le spectacle du calvaire enduré par l'écrivain aux membres paralysés. Le poète, lorsqu'il était au plus mal, la faisait régulièrement quérir par son laquais, assuré de toujours pouvoir trouver auprès d'elle une écoute compatissante. Il s'était montré très inquiet à la lecture d'une gazette annonçant le départ de son amie outre-mer. Il avait fallu plus d'une heure pour calmer les doléances du malheureux qui s'imaginait déjà abandonné. Comme souvent, seules les notes claires du luth que sa protégée maniait en virtuose lui avaient permis de trouver un peu de repos, éphémère répit avant la reprise de son supplice. Condamné à l'immobilité, il luttait contre une étrange maladie qui touchait progressivement tous ses muscles et dont même l'opium ne parvenait plus désormais à juguler les élancements. Perclus de douleur, Scarron craignait
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