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Le jeu de dupes

Le jeu de dupes

Titel: Le jeu de dupes
Autoren: Anne-Laure Morata
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1
    Auvergne, Mont Menat, fin janvier 1651
    Reprendre son souffle, étouffer les hurlements de terreur qui montent dans sa gorge, ne pas esquisser le moindre geste… La jeune femme, dissimulée derrière une tapisserie, tente de rester parfaitement immobile et de maîtriser le rythme tumultueux de sa respiration. Dos contre la muraille glacée du château, elle lutte contre la panique qui l'assaille dans un ultime effort de volonté pour garder une chance de survivre. Tous les sens en alerte, elle éprouve cette frayeur absolue que ressent la bête traquée avant sa mise à mort : son poursuivant est à quelques pas d'elle seulement. L'homme vient tout juste de la dépasser sans remarquer sa présence. Soudain il s'arrête, elle tremble, il fait lentement demi-tour, humant l'air à la recherche des effluves du parfum qui ont trahi celle qui le porte. Elle l'entend rire, ses genoux ploient sans qu'elle puisse les contrôler, et elle subit en s'affaissant la morsure des pierres qui griffent sa chair avant qu'il ne l'extirpe de sa cachette avec brutalité. Il l'oblige à croiser son regard glacial où l'on ne lit aucune trace d'humanité, provoquant chez sa victime un effroi tellement intense qu'elle n'arrive plus à inspirer. Sa dernièrepensée consciente avant de s'évanouir s'envole vers François en un appel de détresse absolue.
    Loin du drame qui se joue, ce dernier cavale dans la campagne, prenant un plaisir infini à faire corps avec son pur-sang, heureux de le sentir réagir à chacune de ses impulsions. La neige commence à recouvrir la nature environnante, transformant les alentours en paysage diamanté au calme ouaté. Parvenu en haut d'une colline, juché sur son alezan dont la robe éclatante détonne dans ce nouvel univers immaculé, le chevalier de Rohan Montauban contemple son domaine.
    Chaque jour, en fin d'après-midi, s'adonnant seul à ce précieux rituel, François aime galoper vers ce promontoire à l'abri des regards, éloigné de toute habitation, qui lui permet d'observer ses terres plusieurs lieues à la ronde. Songeur, il devine au loin l'ombre de Mont Menat. Depuis un an il occupe les soixante-dix pièces de l'altière demeure qui tout en gardant des aspects fortifiés moyenâgeux séduit immanquablement ses visiteurs avec son pavillon porche suspendu au-dessus des douves, mis en valeur par deux autres bâtiments plus récents, ainsi qu'une orangerie à l'architecture audacieuse. Il n'a point échappé à la règle et s'y sent dorénavant chez lui.
    La population, habituée à la morgue de son prédécesseur et au désintérêt dont il faisait preuve concernant leurs difficultés, avait accueilli avec joie ce jeune châtelain soucieux de la bonne marche du fief et du bien-être de ses habitants. Évidemment il y avait eu certains ragots : ne disait-on pas qu'il avait hérité de la propriété en tuant son oncle en duel ? 1 Les mauvaises langues s'étaient tues lorsque tous avaient pu constater, du simple domestique aux membres de la bonne société invitée au château, que le couple des Rohan Montauban n'aspirait qu'à vivre en paix et à partager son bonheur. Nolwenn, son épouse, avait rallié tous les suffrages en se comportant sans détours ni artifice, en hôtesse chaleureuse, manifestant une réelle bienveillance envers autrui, donnant de son temps et de son argent pour aider les nécessiteux, allant jusqu'à ouvrir un dispensaire aux portes du village.
    Le manoir, autrefois simple résidence d'été permettant d'échapper à la chaleur étouffante de la capitale, était de nouveau occupé à l'année. François et Nolwenn en avaient préalablement longuement discuté : il souhaitait mener une vie calme loin des désordres parisiens et des complots de cour, ce qu'elle comprenait. Confiant la gestion de leur hôtel parisien à sa sœur Louise, mariée à Arnaud de Saldagne son meilleur ami, François jouissait désormais d'une existence de gentilhomme fermier et l'appréciait à sa juste valeur.
    Seule la mer manquait à l'ancien petit paysan breton redevenu par les caprices du destin celui qu'il était de par sa naissance : l'héritier d'une haute lignée. Proscrit à jamais de sa terre natale du pays Léon, il garderait éternellement dans son cœur le souvenir de la beauté sauvage des côtes du territoire pagan, la sensation des embruns sur son visage et l'odeur des brises marines. Nolwenn partageait cette douce nostalgie de la Bretagne de leur enfance, néanmoins tous
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