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Le jeu de dupes

Le jeu de dupes

Titel: Le jeu de dupes
Autoren: Anne-Laure Morata
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plus que tout la solitude et se faisait beaucoup de souci concernant le sort réservé à son égérie qui, par son indépendance d'esprit et ses mœurs, s'attirait parfois les foudres des conservateurs. Ninon connaissait lesdangers de ne pas céder aux exigences de conformisme de la haute société traditionnelle. Toutefois elle se refusait à s'exiler comme l'y poussaient certains proches vers des îles lointaines pour échapper à leur contrôle, sachant que, parisienne au fond de l'âme, elle ne pourrait s'éloigner durablement de la capitale, conviction renforcée par un refus viscéral de faire ce plaisir aux dames bien nées du Marais.
    La trentaine passée, on ne pouvait pas prétendre que la demoiselle soit vraiment jolie, cependant son teint d'albâtre rehaussé par une belle chevelure châtain et de grands yeux sombres pétillant d'intelligence en séduisaient plus d'un. Pensive, confortablement calée sur le siège recouvert de tissu coûteux de la chaise à porteurs qu'un admirateur venait tout juste de lui offrir et dont elle usait pour les courts trajets, elle cherchait la personne qui, dans ses relations, pourrait dénicher un joli minois à marier au célèbre homme de plume pour le sauver de son chemin de croix. Décidément l'affaire paraissait fort délicate vu le handicap affectant l'auteur du Roman comique qu'aggravait un caractère irascible et anxieux. Une orpheline sans titre ni fortune et pas trop regardante, voilà ce qu'il fallait ! Elle cessa de tapoter la portière de ses ongles nacrés : on verrait cela plus tard 1 .
    Elle n'arrivait pas réellement à se concentrer depuis « l'incident » survenu durant le trajet du retour qui, il faut l'avouer, l'avait passablement contrariée. Après avoir calmé les alarmes et remonté le moral du poète invalide, elle souhaitaitaller se balader Cours-la-Reine pour de plus joyeux échanges, projet mis à mal par une bande d'énergumènes qui avaient fixé aux grilles de la célèbre promenade une caricature du cardinal Mazarin en vue d'un concours de crachats. Bloquant le passage, ces vauriens avaient obligé son véhicule à faire demi-tour.
    C'est un monde tout de même, maugréait la jeune femme, déçue de n'avoir pu inviter le fringant officier qu'elle avait repéré la veille à venir souper chez elle. Ninon était agacée mais surtout inquiète. La colère du peuple envers le ministre favori d'Anne d'Autriche semblait ne plus connaître de limite et, partout dans Paris, son effigie était ridiculisée à la plus grande joie des badauds.
    L'arrestation du Grand Condé, de son frère, Armand de Bourbon Conti, et de son beau-frère, le duc de Longueville, effectuée en plein Palais-Royal un an plus tôt, suivie de leur incarcération à Vincennes, n'avait guère ému la populace. Le souvenir du blocus mené par le prince, chargé par la reine de réprimer la révolte des habitants de la capitale, les avait prédisposés à peu de sympathie. Le Parisien ne s'intéressait pas vraiment à la guerre civile allumée par les épouses des prisonniers en Normandie, Bourgogne et Guyenne dont le vicomte de Turenne avait pris la tête. Les troupes royales avaient de toute façon, on le savait, maté la révolte. Les choses avaient basculé avec le transfert des captifs à Marcoussis, transformant le prince séquestré en victime innocente aux yeux d'une opinion publique volage, à la recherche de grain à moudre pour alimenter sa haine. Poussée au soulèvement par les agitateurs du clan Condé alliés aux ennemis dupremier conseiller de la reine, la « vox populi » se montra prompte à ériger le captif en symbole des persécutions commises par l'étranger à la robe pourpre qu'on vouait aux gémonies.
    Comme tout le monde, Ninon avait été émue par le poème de Madeleine de Scudéry qui bruissait dans tout Paris, célébrant le glorieux détenu vainqueur de Rocroi devenu martyr, réduit à planter des fleurs pour s'occuper :
    En voyant ces œillets, qu'un illustre guerrier
    Arrosa de sa main qui gagnait des batailles,
    Souviens-toi qu'Apollon a bâti des murailles
    Et ne t'étonne plus de voir Mars jardinier.
    Ninon avait connu les caresses du fier militaire et lui avait laissé une place dans son cœur. Elle avait compris la colère du peuple lors de son transfert au Havre ordonné par le cardinal en novembre. Les Mazarinades, pamphlets virulents s'il en est, se déversaient depuis lors hors de tout contrôle. Le prélat, ce coquin de
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