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Le jeu de dupes

Le jeu de dupes

Titel: Le jeu de dupes
Autoren: Anne-Laure Morata
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Sicilien qui pillait les caisses du royaume en suçant le sang des Français, séduisant la reine, étrangère malgré son titre, pour mieux commettre ses rapines, incarnait la cause de tous leurs maux.
    Ninon avait entrevu Mazarin à la cour quelques jours auparavant et il semblait bien mal en point, souffrant de nouveau d'une sempiternelle crise de goutte. La fine mouche avait senti la peur derrière le masque de l'habile homme d'État. Gaston d'Orléans, oncle du roi, s'était aussi détourné du ministre, s'alliant au parlement pour demander la libération des princes. Le cardinal n'avait plus que des ennemis et craignait le retour des barricades parisiennes. La reine, quant à elle, redoutait deperdre son plus fidèle soutien pour lequel elle éprouvait un vif attachement.
    La courtisane ne s'abaisse pas comme tant d'autres à se réjouir des malheurs de la régente. Pourtant cette dévote ibérique, très à cheval sur les principes, représente une véritable menace pour elle. La jeune femme, de basse extraction, s'est fait sa place dans la haute société à l'aide de ses charmes qu'agrémente un esprit brillant, assumant son indépendance et sa liberté sexuelle tout en refusant le poids des croyances religieuses. Sa philosophie épicurienne et son côté flamboyant ne séduisent guère une Anne d'Autriche plutôt encline par son éducation et ses convictions à l'envoyer au couvent pour expier ses fautes.
    Au contraire, Ninon éprouve de la pitié et une réelle compassion pour cette suzeraine n'arrivant plus à dissimuler l'affolement qui l'envahit devant ce ralliement des frondeurs qui risque de la priver d'un mentor tendrement chéri.
    Dans sa chaise à porteurs, la galante demoiselle décide de ne plus y penser. Allons, demain est un autre jour et elle aura certainement l'occasion de recroiser le beau mousquetaire entraperçu Cours-la-Reine. Ce soir, elle dînera seule et en profitera pour classer sa correspondance. La courtisane soulève les rideaux en velours de sa cabine : est-on encore loin de son hôtel particulier du Faubourg Saint-Germain ? Justement on en franchit les larges grilles destinées à protéger l'élégante façade érigée par Mansart. Prestement, Ninon descend de son siège et monte les marches conduisant au rez-de-chaussée de son logis tout en donnant congé aux solides gaillards qui la transportaient. Passant le seuil del'entrée à pas pressés sans un regard pour les statues de Vénus et d'Apollon qu'elle a pourtant fait installer à grands frais, elle informe sa soubrette et son valet, étonnés, qu'elle n'aura pas besoin de leurs services ce soir-là et demande qu'on prévienne la cuisinière qu'elle se contentera d'une légère collation en chambre. Elle s'apprête à emprunter l'escalier principal qui mène aux appartements supérieurs lorsque son domestique ose l'interpeller :
    – Madame, c'est que le marquis de la Treyère vous attend. J'ai cru bien faire en l'installant dans le petit salon. Et puis, continua-t-il malgré l'air pincé de sa maîtresse, le serviteur de Mademoiselle de Goyon voudrait également vous parler, il fait le pied de grue à l'office depuis des heures.
    – Tant pis, renvoyez-le, dites-lui que je le verrai demain. Quant au marquis, je m'en charge… Montez donc le service à porto dont il est si friand.
    Vraiment cette journée ne sera pas la mienne ! se dit Ninon, appréciant peu qu'on force la porte de son domicile sans y avoir été préalablement invité. À sa décharge, de la Treyère venait tout juste d'entrer en faveur et, apparemment, il n'avait pas encore saisi les règles du jeu. Pour son hôtesse, le monde masculin se divise en trois classes distinctes : les payeurs qui assurent ses rentes et à qui elle sait à merveille donner satisfaction, les martyrs qui en seront immanquablement pour leurs frais malgré leur générosité et les favoris qu'elle choisit elle-même d'introduire dans son lit et auxquels elle n'accorde le plus souvent que trois fugaces mois d'extase avant de passer au suivant tout en lesconservant pour amis. Cette organisation mûrement réfléchie constitue la clé de son succès.
    L'infortuné Treyère est au nombre des martyrs. Elle espère rapidement s'en débarrasser avec cependant toute la gentillesse et les manières agréables qui la caractérisent. Franchissant le seuil de son boudoir elle l'apostrophe gaiement :
    – Quel embarras, mon ami, vous me voyez confuse, aurais-je oublié un de nos
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