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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu
Autoren: Pierre Naudin
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groupe d’adolescents muets, hébétés.
    — Va prévenir Thierry et Gauthier. Ils sont à la tourelle. Mais dis-leur de rester sur place… Puis, trouve des jouvenceaux. Demande-leur de nous monter des sagettes et des carreaux. Dis à Mathilde de nous préparer du pain, du lard et du vin. Qu’elle charge des gars – pourquoi pas ses fils ? – de nous porter cette mangeaille… Je ne veux aucun jupon sur les aleoirs.
    Tandis que Girard s’éloignait en courant, le sénéchal se tourna vers Ogier :
    — Il faut prévenir la Margot. Voulez-vous vous en charger ?
    — Moi ?… C’est une besogne de femme ou de chapelain.
    — Je n’ai ni l’une ni l’autre sous la main. Allez-y !
    Et comme le damoiseau se penchait vers la plaine, Blanquefort ricana :
    — Vous en faites pas. Ils nous laisseront en paix jusqu’à la mi-nuit…
     
    *
     
    Ogier descendit dans la haute cour. Il tremblait : la rage et une sorte de désillusion. Cette marée mortelle, aussi vive à battre les murailles qu’à en refluer… Et ces tambours infatigables… Cette peur étrange, exaltante… Et maintenant, cette paix fragile, chargée de malheur et de nuit…
    Il croisa, pâles et soulagés, des enfants, des femmes et des filles. Là-haut, regrettait-on d’autres morts que celle de Gilles ?… Il y avait sûrement des blessés. Qui ? Combien ?… Et lui, Argouges ? Par quel préambule commencerait-il à s’acquitter de sa mission – si toutefois Margot se trouvait chez elle ?
    Portant la main à son épée, il sentit que son coude en touchait un autre… Une femme. Elle ne lui disait rien et passait. Une du hameau…
    Elle semblait se rendre aux étables. Ses hanches larges oscillaient sous sa robe grise, son seul vêtement, il en fut convaincu par le bombé des fesses. Elle était nu-pieds, et c’était pourquoi il n’avait pas deviné son approche. Brune. Elle avait ramené ses cheveux tressés en arrière de son crâne et ce serpent soyeux lui titillait les reins. Quel visage avait-elle ? Quel qu’il fût d’ailleurs, en le frôlant elle avait aggravé son mésaise.
    Soudain, il entrevit son profil : l’Aliénor, l’épouse du Calixte, le sabotier. Et elle allait pieds nus !
    Entre la forge et les étables, un passage conduisait à une maison basse à demi enfoncée dans la muraille et coiffée, dans sa partie débordante, de pierres plates et de lauzes. Bâtie lors de la construction de la première enceinte, Guillaume avait tenu à ce qu’elle subsistât sans que rien y fût changé. Une lueur soufrée bougeait à sa fenêtre.
    — Margot, ouvre… C’est Ogier.
    Elle apparut, une chandelle à la main.
    — C’est vous !… C’est donc fini ?… Ils sont partis… Je n’ai pas bougé… Leurs cris m’épouvantaient. Je suis toute froidie des orteils à la tête… Telle que vous me voyez, j’allais me vêtir et partir au donjon pour y ouvrir le lit des damoiselles…
    Elle était grande, élancée ; elle avait sur le corps cette chemise dans laquelle il l’avait aperçue, à son retour de Saint-Rémy.
    — Qu’est-ce qui vous amène ?
    À quoi bon hésiter ? Elle le regardait de son air équivoque, entre l’insolence et la soumission.
    — Ce qui m’amène, Margot, c’est que ton mari est mort.
    Aucun tressaillement : elle pinça les lèvres ; le chandelier demeura immobile en sa main.
    — Il s’est trop exposé… Une darde… Il est tombé dans le fossé.
    — Thierry et Gauthier ?
    — Ils savent.
    Il sentit remuer des velléités au fond d’elle. De quelle espèce ?
    Elle dit enfin, et son accent ne reflétait ni douleur ni regret :
    — Le chagrin doit pas les étouffer. Gilles hésitait à cogner sur son frère, mais sur son gars, il y allait de bon cœur.
    Sans souci de montrer son sein, elle dégagea une de ses épaules. Ogier vit une bosselure bleuâtre en haut du bras, si grande que sa main n’eût pu la dissimuler.
    — Il ne savait faire que ça quand il était saoul, mécontent des autres ou de moi. Buquer des poings ou des pieds. Alors, vous pensez bien que sa mort ne me tirera pas une larme… J’ai d’autres sceaux de sa fureur sur les cuisses, les hanches… Pour qu’on n’en sache rien, il frappait jamais au visage… Approchez… Vous avez chaud et j’ai du vin au frais.
    Ogier entra non sans trouble. Il entrevit une cloison, une huche, un lit et la table sur laquelle Margot posait le chandelier. Elle tira un cruchon d’une niche proche de
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