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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu
Autoren: Pierre Naudin
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la cheminée ainsi que deux gobelets d’étain qu’elle emplit. Ses yeux obliques, sous les sourcils dorés, exprimèrent une malice indicible.
    — Êtes-vous marri de me voir si peu dolente ?
    Le damoiseau scrutait cette figure blafarde dans la pénombre. Non, ce n’était pas Anne. Et pourtant…
    — Ton homme était un fumeux [13] … Désormais que vas-tu faire ?
    — J’ai le temps d’y penser.
    La bouche entrouverte sur la blancheur des dents avait du charme, et sous le fin tissu – la chemise devait être un présent de Claresme – le corps aux courbes doucereuses paraissait à la fois fort et souple.
    Et s’il osait un geste ? Tiens : s’il lui demandait de lui montrer ses surgillations [14]  ? Après tout, il était seul, désormais, lui aussi ; seul et comme affranchi des contraintes et des principes : Anne l’avait trahi ; le Thibaut pouvait la forniquer en ce moment même. Elle y prenait peut-être plaisir…
    Il s’étonna de cette soudaine montée de fiel. Mais quoi ? Les circonstances – la désaffection d’Anne, la disponibilité de Margot, leur solitude et la précarité même de leur vie – l’incitaient à la malveillance. Cependant quelque chose se rebiffait en lui. Ce ne pouvait être un remords puisqu’il n’avait rien accompli… Alors quoi ? Un jugement rigoureux par anticipation ?… Un gars de son espèce… Un futur chevalier… Et puis, Gilles était à peine froid…
    — À quoi pensez-vous, messire ?
    Il pensait que les exigences du corps différaient de celles de l’esprit et du cœur. Il pensait que nul ne saurait. Personne ne l’avait vu entrer dans la ruelle. Personne ne l’avait vu franchir le seuil de ce logis à semblance et fraîcheur de caverne. Thierry et Gauthier ne pouvaient quitter les murailles. Guillaume ? Il se faisait soigner. Blanquefort ? Sans doute le croyait-il ailleurs, maintenant.
    — Buvez, messire. Le vin donne du cœur au ventre.
    Ils heurtèrent leurs gobelets et les vidèrent. Et tandis que du plat de la main Margot s’essuyait les lèvres, Ogier demanda :
    — Te souviens-tu de ce que tu m’as dit l’autre jour ?
    — Que ma sœur avec vous avait bien de la chance ?
    — Ainsi, tu te rappelles…
    Les lèvres du damoiseau tremblaient. L’indécision aggravait sa nervosité. Agir… Était-ce partir ou demeurer ?… Comment résister à cette envie de prendre un bon bain de luxure afin, surtout, d’épurer son cerveau ?… Et Margot ? Pouvait-elle deviner ses pensées ? Prompte, une étincelle illuminait ses prunelles :
    — Anne n’est plus ici… Et si ça se trouve, dans un jour ou deux, nous serons morts… Eh oui : morts !… Percés de toutes parts… Avant ça, messire, ils m’auront besognée dans les deux sens, cent fois peut-être… Et vous, ils vous auront coupé l’escarcelle et la bouterolle. Alors vaut mieux en faire usage, pas vrai ?
    Et brusquement, avec une sorte de colère alourdie de supplication :
    — Qu’attends-tu ?… Tu sais depuis longtemps que je suis bonne à prendre… Je te déplais ?
    Il secoua négativement la tête.
    — À quoi bon, désormais, cette fidélité ? Tu t’en es toujours couvert comme d’une de ces armures dont ces Castillans sont si fiers… Hors d’atteinte, hein, la chair ?… N’étouffe pas dans tes scrupules comme on doit étouffer dans ces fers… Rien ne te contraint plus, et la mort nous enserre… Alors, vis ! Profite de ton corps pendant qu’il en est temps.
    Elle avait raison : cette nuit ou demain, ou plus tard, il pouvait subir le même sort que Gilles ; pire encore : celui qu’elle avait imaginé pour les hommes au cas où le château tomberait. Plutôt que d’hésiter devant cette effrontée comme un puceau envieux et craintif, il devait profiter de l’aubaine et goûter au seul plaisir qui lui fût offert par les événements. Quoi de mieux, d’ailleurs, pour se venger de la défection d’Anne, que d’étreindre, à quelques variantes près, sa réplique ?
    Margot passa près de lui, caressa furtivement son bras et poussa le verrou de la porte. Ce fut, ensuite, le tour du volet intérieur. La flamme de la chandelle devint tout à coup plus brillante.
    Ogier posa sa cervelière sur la table, puis sa ceinture d’armes.
    — Tu te mets nu ?… Tu as le temps ?
    À quoi bon répondre ? Tout se confondait dans son crâne et son corps : le besoin d’assouvir en cette créature aux façons de ribaude une
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