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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu
Autoren: Pierre Naudin
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pierres.

 
     

PREMIÈRE PARTIE LES MURAILLES DE RECHIGNAC

I
    À l’issue de sa seconde ronde, Ogier s’approcha de Thierry Champartel.
    — Rien ?
    — Rien, messire. Ils prennent leur temps. Ils savent que Rechignac n’est pas Saint-Rémy.
    Le forgeron hésita et parut se jeter un défi à lui-même :
    — Si je peux me permettre…
    — Tu peux.
    — N’êtes-vous pas marri de ce qui vous advient ? Vous alliez, ces jours-ci, regagner la Normandie et voilà que les Goddons vous en empêchent. Il y a de quoi devenir enragé !
    Depuis longtemps, Ogier se sentait en solide accointance avec ce garçon vigoureux, aimable, dur à la tâche. Quel serait son comportement lorsque les meutes de Robert Knolles assailliraient la forteresse ? On le voyait souvent en compagnie de Perrine, une lavandière. L’aimait-il ? Souhaitait-il l’épouser ? Craignait-il qu’après quelques assauts sanglantement repoussés, les démons d’Angleterre et leurs alliés de Gascogne parvinssent à franchir les murailles ?
    Ils regardèrent au-delà de l’enceinte, dans les guérets et les friches en lisière de la forêt, ces conquérants dont le chef avait fait un si grand déploiement. Le spectacle de cette puissance au repos plus encore que la rumeur qui s’en dégageait agissait sur leurs nerfs d’une façon moins néfaste, sans doute, que Knolles ne l’espérait. Sans relâche, ils devaient se pencher, observer, supputer ce que serait cette première épreuve et en quel lieu elle se situerait.
    —  Enragé  ? reprit tout à coup Ogier. Non. Je languis de voir cette envahie [2] . À l’Écluse, j’étais ainsi, ce dont j’ai toujours du regret. Mais nous étions en mer. Ici, tout est différent. Nous n’avons pas à craindre d’être engloutis. Le feu ne peut consumer ces chaingles [3] , ces tours, ce donjon !
    — Ils sont patients. Ils n’ont rien fait depuis ce matin. Que pensez-vous qu’ils nous apprêtent ?
    Ogier eut un geste évasif et dévisagea son compagnon. Il transpirait, lui aussi, sous son chapel de fer : brusquement, la chaleur était arrivée ; ils y étaient si peu accoutumés qu’ils fondaient sous leurs mailles. Thierry gratta sa joue barbue puis considéra ses doigts poisseux de sueur :
    — Dès qu’on m’aura relevé, mes joues deviendront aussi lisses que mes genoux. J’en ai assez de tous ces poils. Margot prétend qu’ils me vieillissent.
    Ogier se demanda si Thierry avait couché avec sa belle-sœur. Et soudain :
    — Sais-tu pourquoi Anne est partie ?
    Le forgeron, gêné, remua les épaules. Une lippe d’ignorance mit un peu de brillant sur ses lèvres pâles, gercées par les braises du fourneau et l’éclaboussement des battitures.
    — Mon frère doit le savoir… peut-être depuis des semaines.
    Cette précision formulée à voix basse – comme s’il s’en repentait –, Thierry enfourna sa tête dans l’embrasure d’une archère, signifiant ainsi sa volonté de rompre un entretien embarrassant.
    — Ils viennent d’allumer un feu devant le pavillon de Canole. Il ne va pas tarder à s’emplir la panse. On devrait en faire autant…
    Lançant un regard méprisant à tous ces guerriers, Ogier trouva que leurs chants et leurs hurlements semblaient se développer.
    — Combien sont-ils, messire, selon vous ?
    — Deux milliers… Une grosse cavalerie.
    Il y avait, en effet, des chevaux par centaines – roncins, coursiers et sommiers –, des mules, des ânes bâtés de sacs de cuir dont quelques goujats les soulageaient.
    — Ils ont certainement rifflé toutes ces bêtes dans les châteaux qu’ils ont conquis.
    — Leur butin doit peser lourd !
    — Mais ils ont des filles… légères !
    Des ribaudes trottaient parmi les chevaux et les hommes, et comme il faisait chaud, la plupart étaient nues.
    — Truanderie et putasserie ! fit Champartel en crachant dans le vide.
    Ogier se demanda où était Adelis. S’il ne l’avait sauvée des griffes de Canole, et surtout de la convoitise de Barbiéri, elle eût peut-être erré maintenant dans les champs après avoir passé une nuit qu’il se refusa d’imaginer.
    — Regarde, Thierry… Voici Knolles et Briatexte. Ils ont conservé leurs armures.
    Tandis qu’il les observait – comme magnifiés par la lumière que le soleil couchant jetait sur leurs fers –, Ogier fut saisi d’étonnement au souvenir de sa rencontre avec l’Anglais. À peine l’avait-il côtoyé qu’il s’était
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