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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu
Autoren: Pierre Naudin
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truandaille !
    À l’angle du merlon derrière lequel il s’était tapi, Ogier regarda les bataillons ennemis.
    Ils chantaient comme peut chanter un orage, et des peaux d’ânes et de chèvres tendues sur les cylindres de cuivre à peine plus hauts que des chaudrons, montait un grondement discordant, à lui seul redoutable. L’avant-garde était constituée par ceux de Saint-Rémy : la crapule fidèle à sa livrée de dépouilles de bêtes. Derrière progressaient deux haies de sarraus multicolores, à l’abri de boucliers ronds, qui, souvent bord à bord, formaient les anneaux de cette immense scolopendre. Les heaumes de toute espèce et les armes de ce monstre ivre de fureur et de bruit luisaient dans les flamboiements du soleil, et déjà çà et là se maculaient de pourpre.
    Ogier rampa jusqu’à l’extrême bord du crénelage, entre un tas de boulets et l’orifice d’un mâchicoulis.
    Ils marchaient lentement. Entre chaque rang, agitant leur épée, des capitaines hurlaient et trébuchaient parfois tant ils regardaient, droit devant, les murailles. Il y avait, ployés sous leur grand pavois, des arbalétriers en petit nombre, puis des porteurs de béliers et d’échelles, un rouleau de cordage en travers de leur torse, et enfin les boutefeux aux mains grossies par des moufles fourrées. Ils soutenaient deux à deux par leurs anses des marmites de cuivre où rougeoyaient des braises.
    — Seigneur ! s’exclama Ogier. Dix échelles pour le mur où nous sommes… et trois béliers destinés à la poterne… S’il y en a autant à chacun des côtés…
    Abrégeant et se retournant pour consulter Guillaume, il vit Blanquefort courir vers la Mathilde. C’était toujours dans ce sens qu’il accomplissait le tour des remparts.
    — Ainsi, les voilà, mon oncle.
    Il s’aperçut qu’il claquait des dents. La peur ? Non, ou à peine. Il était aiguillonné par une curiosité frénétique. Prisonniers et comme condensés dans la couronne des collines avoisinant Rechignac, les battements des tambours et la litanie des envahisseurs devenaient les échos de son horreur et de sa malédiction.
    « Qu’ils crèvent ! Qu’ils crèvent ! souhaita-t-il. Que Dieu les voie et les anéantisse avant qu’ils ne nous atteignent ! »
    Son cœur palpitait contre les dalles, et sa main blessée, crispée sur le rebord du parapet, le démangeait.
    — Allez, Ogier, recule… Il suffit ! cria Guillaume.
    Il fut tenté d’obtempérer, mais les contractions lentes, inexorables, du grand serpent lové autour de la forteresse, le fascinaient. Il entendit Norbert :
    — Moult d’entre eux sont armés de haches danoises !
    Et comme il avait manié celles de Guillaume, il vit et toucha de mémoire ces armes épouvantables : un fer large, relevé à son sommet pour fournir des estocades ; un manche oblique grâce auquel on augmentait la force du coup. Et il frémit en imaginant les brèches que les tranchants pourraient ouvrir avant peu.
    Sur un commandement, tous s’arrêtèrent ; sur un autre, leurs rangs s’agglutinèrent en un seul. Les tambours cessèrent leurs martellements. De loin en loin, des trompes levèrent leurs entonnoirs d’airain et lancèrent un barrissement bref.
    Alors, une formidable poussée démolit cette muraille vivante. Une course forcenée répandit en avant hommes, aciers, cris, flammes ; ce fut une tempête, un tourbillon gigantesque dont les remous se composaient de chair et de fer, et les grondements, de clameurs effrénées, toutes pareilles :
    — Édddooouuuuaaaarrrddd !
    Le nom maudit du souverain d’Angleterre s’allongeait, s’allongeait, s’incurvait, grossissait ; devenait lui-même, au-dessus du reptile humain tronçonné, lacéré, fracassé par l’attaque, un monstre sonore écaillé de cliquètements de métal et dont les pulsations étaient celles des tambours à nouveau présents, obsédants par leur immuable cadence : boum boum boum… boum boum… boum boum boum… boum boum.
    —  Ils vont glacer le sang des plus hardis d’entre nous !
    — C’est surtout de notre côté – entre la Mathilde et les tours portières – qu’ils concentrent leur assaut, dit Blanquefort. Il n’y a que cinq ou six échelles pour chacune des autres murailles.
    — Ici, dit Guillaume, va falloir s’employer.
    Et, les mains en cornet, il hurla de toutes parts :
    — Bersez ! Bersez [7]  ! Vous voyez bien qu’ils sont là !
    Ils arrivaient – déjà ! –
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