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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu
Autoren: Pierre Naudin
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Comprends-tu ? L’élan qui me portait vers elle, alors, était trop violent… J’allais la perdre ! Jusque-là, sa présence avait suffi à combler ma vie : je l’avais vue naître, grandir… Nous étions de bons compagnons… Elle m’a pris pour un vieux pervers… Et pour conserver son estime, plus encore que pour me justifier, j’ai dû tout lui raconter.
    Blanquefort eut un soupir bref, un râle, et de nouveau, le sang apparut sur sa bouche :
    — Pour preuve de ce que j’affirmais, je lui ai demandé d’aller au hameau, voir l’Henriette…
    — La mère de Margot et d’Anne ?
    — Oui… C’était elle qui avait accouché Guibourc… Et comme la pauvre, en enfantant, m’appelait, Henriette avait tout compris. J’avais acheté son silence par la menace et quelques pièces d’or.
    — Et Tancrède est allée la trouver ?
    — Incontinent et avec moi… Et depuis, elle n’a plus douté.
    Ogier soupira. Cette main qui durcissait dans la sienne… Cette main de statue, de noyé…
    — Mon oncle sait-il pour vous et son épouse ?
    Le sénéchal pencha la tête de côté et ne put la redresser.
    — Qu’il ait eu des doutes, cela se peut… Un jour, il est parti pour Limoges, avec Aspe et Matthieu… L’orage a pris peu après le coucher du soleil… Un ciel d’enfer… Les sergents et les serviteurs s’étaient comme figés… par enchantement… Rien ne bougeait, que les flammes dans l’âtre et les chiens devant elles… Et je la savais seule, dans sa chambre, avec Claresme au berceau… Je suis monté… L’enfant dormait, et point n’était besoin d’avoir une chandelle : les éclairs rendaient le ciel plus blanc que les prés sous la neige… Elle était dans son lit, frissonnante… Et ce qui devait se faire s’est fait…
    — Je comprends.
    — Il m’avait pris ma fiancée pour la vie. Je lui ai pris sa femme une nuit… Sans désir de vengeance, crois-moi, mais sans nul remords.
    Une nouvelle grimace tordit le visage déjà pâli, pierreux.
    — Il me faut une croix… la prise de mon épée…
    Elle était près d’Ogier.
    — Tenez, Hugues.
    Et soudain, le courroux du damoiseau éclata :
    — Vous pouviez vivre… Être heureux… Combattre était de la folie… Et vous avez choisi le plus fumeux [161] de ces malandrins !
    — Crois-moi : sans la rupture de ma lame…
    Déjà, sous les poils gris, aux commissures des lèvres, la mort posait deux rides noires, pareilles à des traits de plume.
    — C’est étrange, vois-tu : je pressentais que j’allais mourir… Et moi qui n’avais jamais eu à me confesser… à Clergue… Quand elle m’a dit qu’elle voulait partir…
    — Ainsi, c’était vous !… Le chapelain m’a mis en garde.
    Une douleur plus crue que les autres contraignit Blanquefort à gémir. La sueur derechef ruissela sur son front. Des lueurs vacillèrent sous ses gros sourcils :
    — Ne l’emmène pas… Laisse-la à Guillaume… Nul ne pourra la protéger mieux que lui… Laisse-la où sa mère a vécu… Quand elle est revenue de Lubersac…
    Maintenant, les mots devenaient moins sonores et franchissaient douloureusement les lèvres.
    — Toi et elle… tu comprends, c’est impossible… Tout d’abord pour les autres, il y aurait inceste… Et puis, ces… franciscaines l’ont… changée…
    Le sénéchal déglutit difficilement. Une goutte de sang apparut entre ses lèvres et s’égara dans sa moustache. Puis une autre, une autre encore. Il ouvrit grands ses yeux.
    — Tous ces nuages, dit-il.
    Or, le ciel était nu, d’un azur insondable.
    — Pour revenir chez les tiens, prends Veillantif. Il est borgne, mais solide… Il s’entend bien avec Marchegai… Là-bas, laisse-le vivre sa fin : les prairies sont grasses.
    — Je le prendrai.
    — Prends aussi ma lance frênine [162] . Je l’avais conquise sur un Goddon…
    — Je la prendrai.
    — Guillaume va t’armer chevalier. Tu as gagné tes éperons. Accepte qu’il te donne la colée. Ce sera pour lui une dernière joie.
    — J’accepterai, mon grand ami, puisque c’est votre volonté.
    Un soupir, une larme :
    —  Elle doit être sur la courtine.
    — Sans doute…
    — Elle ne me croit que touché… mais nullement mourant.
    — Sans doute…
    — Hélas ! ne plus la voir… Que devient Jean ?
    Ogier se détourna :
    — Il meshaigne son homme… un grand coup dans les canivelles [163] . Hélas ! manqué…
    — C’est un bon gars… un
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