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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu
Autoren: Pierre Naudin
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peu de mon espèce.
    La tête de Blanquefort remua. Son regard se réchauffa, mais c’était aux dernières flammes intérieures. Un mouvement convulsif secoua ses bras et ses jambes : la douleur se ramifiait dans ce corps investi du gel suprême. Déjà, dans celle d’Ogier, sa main s’était pétrifiée. Un sourire erra sur les poils sanglants.
    — Dieu va enfin m’aimer comme je le mérite… Et là-haut, je vais la revoir.
    Un silence parcouru de cris haineux tomba sur la foule des ribauds et des Anglais, et des hurlements joyeux éclatèrent sur les murailles.
    Ogier se tourna.
    Jean contraignait son homme à rompre, rompre encore en dépit de sa longue lame. Délié en maints endroits, son écu rustique branlait sur sa poitrine mais résistait encore aux taillants dont il était accablé. Prompte, inopinée, l’épée de Jean – le présent de Blanquefort – s’abattit sur le malandrin et l’atteignit à l’avant-bras dextre.
    — Ça y est, Hugues ! Il le démembre !
    Le perdant reculait, ahuri, incrédule, regardant les chairs sanglantes de son moignon. Il s’agita, ébaucha de la tête un mouvement d’horreur, et soudain, alors que Jean s’apprêtait à lui porter le coup de grâce, l’effroi le saisit et il courut vers ses compagnons.
    — Milton ! hurla Knolles.
    Une sagette jaillit des rangs des archers anglais et frappa le fuyard en pleine poitrine. Il tomba en arrière.
    — Nous voilà victorieux, annonça Ogier, sans joie, et le regard brouillé de larmes. Victorieux, Hugues !… Victorieux !
    Mais Hugues Blanquefort, le sénéchal de Rechignac, le demi-frère de Guillaume et l’amant de sa femme ; Hugues Blanquefort, le père malheureux de Tancrède, ne pouvait plus l’entendre.
    Ogier ferma les yeux du défunt, se signa et péniblement se mit debout :
    — Nous voilà donc vainqueurs et tu n’en sauras rien.
    Tandis que le baron marchait droit à Knolles, immobile sur son cheval, Jean s’approcha du damoiseau :
    — Bon Dieu ! Ce Gascon… J’aurais voulu l’occire à moi tout seul.
    Il était touché au bras, à la hanche. Il chancelait ; ses dents claquaient. Il n’osait trop remuer de crainte d’aggraver ses tourments.
    — Bien, l’ami ! dit Ogier en écrasant ses larmes. Tu es moult navré mais vivant… On te guérira. Ce n’est pas comme lui.
    Il désignait Blanquefort, puis il serra les mâchoires, seule façon de dominer une affliction vertigineuse.
    — Le pauvre !… Il est mort maintenant ?
    — Maintenant.
    — Il m’a vu gagner ?
    — Avec son épée… Je crois qu’il l’appelait Finefleur. Souviens-t’en.
    — Ce sera Finefleur… Vrai, a-t-il vu comment j’ai meshaigné cet homme ?
    — Il t’a remiré [164] . Il est mort fier de toi.
    Pieux mensonge. Ogier s’aperçut que le silence était lourd, compact, autour d’eux ; et comme un coup de vent tiédissait son visage, il lui sembla sentir sur sa joue les souffles haletants de tous ceux de son camp. Muets, indécis. Et il eut peur. Peur, cette fois, d’une réalité qui aurait dû l’emplir d’allégresse. Car tout semblait figé, suspendu dans le champ clos et au-delà des barrières.
    — Jean… On est vainqueurs ! Vainqueurs et nul ne bouge ni ne crie parmi nos gens !… Comme s’ils craignaient que leur joie et leur soulagement puissent offenser Canole !
    — Ils doutent encore… Faut les comprendre.
    — Eh bien, non : il nous faut crier, nous ébaudir ! Nous l’avons bien mérité !
    — Je ne peux pas crier : ça me ferait trop mal.
    Le damoiseau regarda l’adversaire de Jean : mort. Celui de Blanquefort : mort. Enguerrand de Briatexte : captif. Donc trois vaincus… Et dans son camp, deux vainqueurs ! Oui, aucun doute : Knolles, auquel Guillaume s’adressait, devait admettre sa défaite.
    — Bon Dieu, Jean ! Il faut délivrer les nôtres du doute et de l’inquiétude.
    Il fallait non seulement croire au succès, mais il devait le proclamer, non seulement à ceux de Rechignac, mais aux Goddons, aux Gascons et à leurs compères ahuris, de tout poil et de toute espèce.
    — Ne soyons pas vergogneux, Jean. Il nous faut montrer notre jubilation.
    Son regard rencontra celui du chef de bande. Et parce que cet homme orgueilleux ne pouvait annoncer franchement : « Les vainqueurs, c’est vous », il inclina la tête.
    Alors, ivre de soulagement, Ogier courut vers les murailles sans plus se soucier de Jean.
    Il s’arrêta sur le bord
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