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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois
Autoren: Francis Perrin
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mystification mais je me prenais
tellement au jeu que je ne savais plus où était la réalité. Je cherchais
surtout une certaine dignité dont on ne m’a jamais revêtu.
    Étais-je un simulateur ? Mystère du miroir dans lequel
je ne pouvais pas me regarder mais qui me permettait de forcer les autres à se
voir tels qu’ils étaient. J’étais moi-même un miroir déformé mais qui renvoyait
les images impitoyables de la réalité. J’ai remué la vase au fond des eaux
dormantes. J’ai un pied dans la tombe et je ne suis pas loin de passer l’arme à
gauche mais je garde ma folie, elle est à moi. C’est elle qui m’a rendu unique.
    Les humains ont tendance à mélanger ce qu’ils appellent la
folie et les fous. Le véritable fou ne s’aperçoit pas qu’on se moque de lui. Il
y a de l’innocence dans la vraie folie et de l’innocence, on passe aisément à
la niaiserie, à la bêtise, à ce que vous nommez si justement à présent :
la connerie. Vous allez même jusqu’à organiser des dîners pour vous moquer d’un
con, moi ça me couperait l’appétit.
    Pourquoi m’avait-on marqué du sceau de la différence ?
Comment un si joli esprit a pu se loger dans un si vilain corps ? Si l’on
me donnait le choix de rejouer mon existence, je voudrais avoir ce corps
harmonieux dont j’ai tant rêvé mais je voudrais garder mon esprit tel qu’il
était. Beau, beau, beau, mais brillant à la fois !
    La gloire me serait indifférente et je n’aurais de plus
forte ambition que de vivre heureux, peut-être avec femme et enfants. Dieu
aurait pu me faire la grâce de me rappeler plus tôt. À quoi ont servi ces
dernières années ?
    À ressasser tous mes souvenirs, à me rendre compte de mon
inutilité et de ma solitude, sans amour, sans femme, sans enfants, sans plus
aucune passion qui m’anime.
    J’ai dû faire beaucoup de mal pour mériter un tel
châtiment ! Mais je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même, je me suis condamné
à mourir seul et je meurs dans l’incompréhension, dans la plus complète
indifférence, mais j’avais trop de souvenirs pour rester muet dans ma tombe et
tu m’as ressuscité. Je viens de renaître en me livrant à toi. Toi aussi, tu te
sens abandonné par ta femme et par ton métier, tout cela n’a pas grande
importance. Tu as fait ton chemin. Il faut savoir partir au bon moment.
    Comme moi, tu as su faire rire, donc tu possèdes quelque
chose de plus que les autres qu’on ne te pardonnera jamais. C’est pour cela que
tu paies en ce moment une lourde addition, mais console-toi en te disant que
ceux qui n’ont pas connu le plaisir absolu d’amuser, de déclencher les rires,
de goûter ce bonheur extrême, cet orgasme supérieur, ceux-là ne seront jamais
que des pantins, des bouffons peut-être, mais sans âme et sans talent ;
sans ce génie qui est le nôtre. La vis comica. Le rire sortira
éternellement vainqueur.
    Tout le monde en est conscient. L’Église, les politiques,
les intellectuels, tous ont craint le rire et l’ont montré du doigt. On a même
tué, exécuté en son nom. Maintenant, même les gens sérieux se servent du rire,
de la dérision comme d’une arme redoutable. Tous veulent s’y mettre et y vont
de leur bel instrument, mais ils auront beau faire, leur musique sonnera
toujours faux parce que leur diapason n’est pas parfaitement accordé au ton de
la sincérité.
    À mon époque, beaucoup d’enfants sont mort-nés, moi j’ai
toujours été mort-vivant, dans une mauvaise peau, dans un mauvais rôle et
pourtant j’ai été utile à la société au milieu de laquelle je m’étais fait une place
qui ne pouvait qu’être la mienne. J’ai été le confident de deux rois parmi les
plus puissants, j’ai croisé des gens exceptionnels, j’ai eu l’amitié, sinon la
considération de Thomas More, d’Érasme et de Rabelais, Victor Hugo et Verdi
m’ont immortalisé dans deux chefs-d’œuvre, je suis devenu une création digne de
Shakespeare, je me devais de revenir me confier à quelqu’un comme toi.
    D’après la liste de Porphyre, j’étais à moi-même les cinq
universaux, le genre, l’espèce, la différence, le propre et l’accident. J’en
suis venu à penser tout ce que je disais. Un homme issu de la boue qui ravit la
parole aux grands et aux princes, un moins-que-rien qui a l’oreille royale, ça
vaut la peine qu’on lui prête quelque attention, non ?
    J’avais parfois la satisfaction de représenter le peuple,
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