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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois
Autoren: Francis Perrin
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compagne qui
ne me trahira jamais.
    — Je te ferai donner une belle somme d’or.
    — Gardez votre argent, mon roi, les caisses du royaume
en ont plus besoin que moi. J’ai de quoi ne pas mourir de faim pendant un bon
nombre d’années.
    — Où vas-tu demeurer ?
    — J’ai un petit lopin de terre non loin de la forêt de
Blois qui suffira amplement à ma vie nouvelle. Je n’aurai plus que les
sauterelles à faire sauter de joie.
    — Quand pars-tu ?
    — Je suis déjà loin, « mon cousin ». Je suis
entré dans ta vie sans que tu t’en rendes compte, je vais en sortir de la même
manière. »
    François I er se leva, vint vers moi, se
pencha pour me serrer fortement dans ses bras et sortit sans un mot pour aller
retrouver la duchesse d’Étampes ou quelque conquête facile qui le distrairait
une petite heure. Je suis resté le cœur déchiré et l’âme en désarroi, je me
séparais à nouveau d’un roi qu’au moins je ne verrais pas mourir. Je me
consolais en pensant que j’avais accompagné un grand roi qui aura seul porté
tout au long de son règne et pendant les années de sa toute-puissance, et pour
les conserver par-delà le tombeau, trois couronnes étincelantes : la
couronne de France, la plus belle de toutes, la couronne laurée d’or des
lettres et des arts et la tendre et fleurie couronne de l’amour.
    Je regagnai ma chambre où je quittai mes habits de bouffon
que je pliai soigneusement avant de les entasser dans un sac de toile.
J’enfilai alors des chausses de couleur beige, des poulaines assorties et une
chemise marron en fil de soie de Lyon. Je regardai par la fenêtre toute la cour
qui s’apprêtait à partir avec mon roi pour la chasse. Quand tout ce beau monde
disparut à l’horizon, je restai à contempler les jardins si bien ordonnés et
j’attendis que la nuit tombât. Je me glissai hors du château sans être vu et je
gagnai la petite masure qui allait abriter la fin de ma vie. Il fallait à peine
deux heures de marche pour l’atteindre. J’avais préparé devant la maison un tas
de branchages et de bois que j’allumai dès mon arrivée. Les flammes ne
tardèrent pas à crépiter, j’y jetai mon sac avec mon habit de bouffon.
    Je m’assis sur le petit muret de pierre près de la porte en
regardant se consumer ce qui avait représenté presque quarante ans de ma vie.

 
Chapitre neuvième
    Mon éloignement de la cour a été cause que l’on a fait
aussitôt courir le bruit de ma mort. Une poésie latine ne tarda pas à me
glorifier.
     
    Vixi mono
regibusque gratus
    Solo hoc
homine, viso num futurus
    Regum morio
sim Jovi supremo
     
    (Fou, j’ai vécu
et fus chéri des rois
    Uniquement à ce
titre
    Puissé-je à
l’avenir devenir
    Le fou de Jupiter,
le plus grand des rois)
     
    J’ai vécu fou et cher aux rois par ce seul nom ! Alors,
lorsque l’on est le fou du roi, n’est-on pas devenu celui de Dieu ?
    Je suis tellement loin à présent des intrigues
égocentriques, de l’arrivisme, de la servilité, des galanteries, de
l’autosatisfaction des imbéciles, de la futilité, de la cupidité, des
friponneries et des mensonges. Je ne demande plus qu’à partir, à laisser toute
cette insignifiance derrière moi pour aller rejoindre ceux que je sais
authentiques.
    Oui, il est grand temps pour moi que la camarde vienne me
chercher. Je l’attends de pied ferme ; j’ai toujours un peu vacillé, c’est
la faute à mes jambes tordues mais je suis sûr que je vais trouver mon
véritable équilibre dans la mort.
    La puissance de la tendresse de l’amour paternel aurait
sûrement fait de moi un autre homme, un homme tout simplement, avec les
sentiments de tout le monde. Si seulement j’avais su les exprimer ! Je
n’ai jamais dit « je t’aime » et on ne m’a jamais dit que l’on
m’aimait, mais aurais-je seulement permis que l’on me le dise ?
    Clément Marot dans la deuxième épître du « Coq à
l’âne » écrit que « Triboulet a frères et sœurs ». Évidemment,
les hommes sont tous fous mais ma folie n’était pas celle du commun des mortels
ni même celle de la mégalomanie des dictateurs. Non, je n’ai été qu’un libre
esprit qui cachait, sous les apparences de la folie ou de la sottise, les
hardiesses de mon bon sens. J’étais « le plus vray sot qu’oncques forgea
Nature ».
    J’aurais pu avoir de bonnes raisons d’être plus méchant que
je ne l’ai été. J’aurais eu au moins trois raisons qui m’auraient
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