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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois
Autoren: Francis Perrin
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Prologue
    « La bouffonnerie est une philosophie. Elle est la
forme la plus achevée du mépris. Du mépris absolu. »
    J. KOTT
     
     
    Je m’appelle Alain Triboulet, j’ai cinquante-cinq ans.
Profession : humoriste. Depuis plus de trente ans, je fais rire, j’amuse,
je distrais. Parfois, je dérange. Lorsque, jeune adolescent, je prenais des
cours de comédie, j’ai tout de suite détesté avoir un ou plusieurs partenaires
pour me donner la réplique. Je les trouvais fades, scolaires, dépourvus
d’originalité créatrice. Ce fut à ce moment que je décidai de toujours être
seul sur scène et de faire, comme on dit si mal, du « one man show ».
    J’eus de belles et grandes années de gloire mais avec
l’arrivée en masse des nouveaux comiques au langage essentiellement
« bite-cul-couilles », les salles, autrefois pleines à craquer, ne se
remplissaient plus qu’à moitié dans le meilleur des cas. Disons-le :
j’étais sur un piédestal, maintenant je suis sur le déclin. Mon public fidèle
se nourrit d’un rire-nostalgie et on passe mes sketches à Rires et Chansons dans la rubrique « les légendes du rire ». J’ai bien un agent
« artistique ! » qui s’échine tant bien que mal à me faire
passer des auditions, à tourner des essais pour jouer des rôles qui devraient
changer mon image de « rigolo », mais, chez nous, l’étiquette de
comique colle tellement à la peau des acteurs qu’on oublie trop souvent qu’un
comédien qui a la faculté de faire rire peut aussi émouvoir ou faire pleurer.
En résumé, je ne suis pas encore mort mais on m’a déjà tué.
    J’ai fait pas mal d’erreurs dans ma vie mais la
principale – la monumentale – c’est de n’avoir jamais adhéré à aucun
parti politique. Je les ai tous allègrement brocardés sans concession. Ce qui
leur a d’ailleurs permis de m’accuser de parti pris. Bien sûr, j’aurais pu,
comme certains l’ont si habilement fait et le font toujours, être le bouffon du
représentant du pouvoir mais je n’ai jamais eu l’âme d’un courtisan
flatteur : ma langue ne supporte que la saveur des bons vins et de la
bonne chère, pas celle des bottes si bien vernies soient-elles. Néanmoins j’ai
pu, grâce à une sympathie naturelle et sans artifice, passer avec entrain d’un
gouvernement à l’autre suivant une route bien rectiligne sans être obligé de
virer à un moment vers la gauche ou vers la droite et en prenant bien garde de
ne jamais toucher les extrêmes.
    Au moment où vous lisez ces lignes, je suis dans une maison
située aux environs de Paris. Une maison qui me paraît immense depuis que tout
ce qui la meublait a disparu. Une absence de huit jours due à quelques dates
d’une tournée de mon dernier spectacle a suffi pour quelle emporte tout de
la cave au grenier.
    Il me reste tout de même le petit lit de la chambre d’amis,
une table de nuit branlante destinée aux encombrants surmontée d’une lampe de
chevet que j’ai mille fois sauvée de la poubelle, le petit fauteuil crapaud de
mon défunt père, ma collection de CD d’opéras (sans la chaîne hi-fi pour les
écouter) et, entassés pêle-mêle dans un coin du salon vide, quelques résidus
sans valeur de ma bibliothèque.
    Quel est le sinistre connard qui a pondu cet article du Code
civil précisant qu’il n’y a pas de vol entre époux ? Le
déménagement-surprise qu’elle a organisé, comment pourrait-on
l’appeler ? Un emprunt non remboursable ou le paiement de la lourde
facture de quinze années de vie commune ? Je ne m’attarderai pas à vous la présenter : elle fait partie de la race plus répandue qu’on ne
croit des « femmes-rapaces » dont le visage à la rondeur angélique
prend, au fil des années, la forme émaciée d’un oiseau de proie, la tendresse
des yeux bleus virant au bleu-noir de la rancœur et de la méchanceté. Elle va tout faire pour que je me retrouve sur la paille. Ce sera l’expiation de
tout ce que je lui ai fait endurer pendant ces quinze ans où elle m’a sacrifié «  sa jeunesse et son énergie ».
    Bien sûr, je l’ai trompée mais je cherchais des bras qui
m’entouraient de leur tendresse pour échapper à ses serres acérées qui
m’étouffaient. Évidemment, mon métier me prenait une grande partie du temps que
j’aurais dû lui consacrer mais elle profitait non seulement des
avantages financiers qui étaient loin d’être négligeables, mais elle était aussi partie
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