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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois
Autoren: Francis Perrin
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aux jambes. La duchesse Anne
va profiter alors à l’excès de sa puissance et de son influence sur mon
souverain diminué. Elle se hâte de pourvoir ses parents et ceux qu’elle protège
de charges et d’emplois. Elle a conscience que, lui disparu, elle devra quitter
sans tarder le luxe et les facilités, l’autorité dont elle dispose à présent
pleinement. J’avais bien vu en elle, dès qu’elle m’était apparue, son cœur sec
et indifférent à la véritable passion que lui vouait son amant, vieillissant
certes, mais qui ne méritait sûrement pas les humiliations qu’elle lui faisait
subir en partageant sa couche avec l’amiral Brion, Clément Marot, Bossut (ce
n’est pas moi !) de Longueval, Dampierre, le comte de la Mirandole, le
capitaine des gardes Christian de Nançay et j’en passe. Fallait-il que mon roi
souffrît pour inscrire avec un charbon sur le mur de l’escalier de Chambord
menant aux appartements de la duchesse ces dix mots :
     
    Souvent femme
varie bien fol est qui s’y fie.
     
    Rien ne pouvait le consoler et je n’arrivais même plus à lui
décrocher le moindre sourire. Avais-je besoin d’avoir ma dose de rires ?
Pourquoi suis-je descendu aux cuisines pour y trouver un public acquis à mes
turlupinades ?
     
    Belle Anne
est assaillie
    De milliers
de saillies.
    Ils sont
montés sur Anne,
    Montés comme
des ânes
    Pourvus le
lendemain
    Du mal
napolitain
    Cadeau de
Pisseleu
    Qui fait
beaucoup souffrir.
    Pour ne pas
en mourir
    Dégorge et
pisse-le !
     
    François I er fut mis au courant de cette
chanson par une personne « qui me voulait grand bien ». Je n’ai
jamais su qui elle était même si je soupçonnai fortement Brusquet d’avoir
brusqué ma sortie. Le roi me convoqua et m’obligea à traverser la grande salle
au milieu des courtisans ravis de savoir que j’allais me faire rabrouer de la
belle manière et que la punition serait exemplaire. François avait sa voix des
graves occasions et je savais, à l’entendre, que c’en était fait de moi :
    « Je t’avais mis en garde : ne jamais être aux
dames malfaisant. Tu as transgressé l’ordre royal en dépassant toutes les
limites par ton insolente vulgarité envers la favorite de ton roi qu’on ne peut
accuser de champisseries [12] . Je te
condamne à mort mais comme tu m’as diverti durant bon nombre d’années, je te
permets de choisir ta mort !
    — Mon cousin, j’aimerais mourir de vieillesse. »
    L’éclat de rire spontané qui suivit ma repartie me sauva la
vie. La cour ne fut plus qu’un grand éclat de rire ininterrompu ; on se
répétait ma phrase durant des jours et des jours. Mon roi trouva une
respiration entre deux hoquets pour me signifier :
    « Je te gracie pour ce bon mot. Il te rendra célèbre
pour la postérité. »
    Je l’avais véritablement échappé belle et la nuit qui suivit
me porta le meilleur conseil que j’aie jamais pu recevoir d’elle. Tout bien
pesé, ma conclusion fut qu’il était peut-être temps que je me retirasse. Depuis
trente-six années j’avais distrait mes deux rois, j’avais amusé deux cours de
France, je m’étais fait cent fois plus d’ennemis que je n’avais eu d’amis, il
fallait savoir laisser la place, partir à temps, éviter qu’on me le demandât
avec plus ou moins de persuasion, laisser peut-être des regrets plutôt que
d’attendre que l’on me chasse. On commençait à dire que j’étais un fou à
«  vingt-cinq carats dont les vingt-quatre font le tout  ».
François était devenu plus distant. Mes reparties le faisaient à peine sourire
et mon envie d’amuser s’émoussait fortement. Le soir même, j’agitai ma marotte
aux pieds de mon roi :
    « Mon cousin, que dirais-tu si je te disais que je veux
quitter la cour ?
    — Quelqu’un t’a encore menacé ?
    — Point. Mais je me fais vieux et je sens que tu n’as
plus vraiment besoin de moi à tes côtés.
    — Je vais m’ennuyer sans toi.
    — Allons donc, les milliers de personne qui forment ta
cour à présent te suffisent amplement. Tu as tes artistes italiens, tes érudits
et tous ces banquets, ces ballets, ces concerts, tu as tout prévu pour ne
jamais connaître l’ennui. Laisse-moi partir, « mon cousin » !
    — Ai-je jamais pu t’interdire quoi que ce soit ?
Où vas-tu aller ? Amuser un grand seigneur ?
    — Sûrement non. Je vais goûter la solitude, je n’ai pas
trop eu l’occasion de la côtoyer et je suis sûr que c’est la seule
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