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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois
Autoren: Francis Perrin
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pas ?
    — C’était un métier dont j’ai fait un art. Vous vous
rendez à la cour ?
    — Non, je vais à Nantes où j’ai un commerce sur le
port. Je vends des marchandises par-delà les mers.
    — Qu’exportez-vous ?
    — Des plantes aux vertus médicinales.
    — J’ai bien connu une femme remarquable qui fabriquait
ce genre de médecines extraordinaires. C’était dans un fort long temps. »
    S’installa alors un lourd silence rempli d’émotion puis le
jeune homme me salua, me dit qu’il avait été ravi d’échanger quelques mots avec
moi et souhaita que Dieu me garde en son infinie bonté.
    « Comment s’appelait votre mère ? » lui demandai-je
tandis qu’il piquait son cheval qui partit à bride abattue. Je ne peux
l’affirmer, les bruits des sabots couvraient presque la voix du jeune homme,
mais j’ai cru l’entendre crier :
    « Rosa Caron ! »
    Je suis resté plus d’une heure le regard sur l’horizon où
les sabots du galop de son cheval avaient fait lever la poussière de la route.
Et j’ai rêvé de ce beau jeune homme en imaginant qu’il était peut-être mon
fils, tout en sachant que c’était impossible. À maintes reprises, ma matrone
m’avait répété qu’elle prenait une décoction propre à l’empêcher d’enfanter à
chacun de nos accouplements, se refusant à mettre au monde le produit de nos
turpitudes.
    « Il y a assez d’un laideron sans vouloir en mettre au
monde un autre, encore plus laid », disait-elle en me désignant.
    « Et si nous avions le malheur de faire un enfant, ce
ne pourrait être qu’un monstre », ajoutait-elle.
    Et si ma matrone, lors de notre dernière « entrevue
chevauchante », n’avait pas pris ce jour-là sa « potion de désenceintement » ?
On n’a jamais su ce qu’elle était devenue. Elle avait quitté son antre au fond
de la forêt sans laisser aucune trace. N’était-elle pas partie très loin pour
aller accoucher et donner naissance à notre fils ? Ce pourrait être l’explication
de sa disparition, mais les pensées d’un homme seul deviennent vite
élucubrations et je suis vite revenu à la raison : ce beau jeune homme ne
pouvait être mon fils, il est si beau et je suis tellement laid. Il valait bien
mieux que cela ne fût pas : aurait-il tiré fierté d’avoir pour père un
pitre ?
    Je ne m’étais jamais séparé de la fiole que ma matrone
m’avait donnée la dernière fois que nous nous étions vus et je me doutais que
son contenu servirait à m’aider à quitter ce monde le jour où mes souffrances
morales et physiques seraient devenues insupportables, ou bien le jour où
j’aurais atteint les limites de la lassitude et de l’ennui. Je n’avais qu’à me
coucher tranquillement sur mon lit avant de l’avaler à petites gorgées. La mort
serait alors bien obligée de venir me chercher. Elle serait sûrement furieuse,
elle déteste qu’on prenne la décision à sa place ; elle aime surprendre et
non qu’on la surprenne et puis elle ne supporte pas que l’on parte sans
souffrir un minimum, mais j’avais pris la décision de devancer son appel.
    Le lendemain matin, je me suis levé bien avant que le soleil
ne brille trop fort, je me suis gratté consciencieusement les parties génitales
et le cul, j’ai lâché deux gros pets libérateurs tout en arrosant l’herbe de
mon urine matinale et après avoir brûlé mon regard dans le doux feu des
premiers rayons du soleil, je suis retourné me coucher et j’ai attrapé la
petite fiole que j’avais posée sur le tabouret près de mon lit. J’ôtai la cire
qui entourait le goulot avec la pointe de mon couteau et je bus lentement le
contenu. Le liquide descendit comme une traînée de velours dans mon estomac, me
laissant un goût de violette. Je sentis une chaleur qui me réchauffa les
entrailles et me laissai glisser avec délice dans la torpeur qui m’envahissait doucement.
    Je pensais que mon corps se redresserait en accueillant la
mort mais je me sentais toujours tout cabossé et tout meurtri. Naître laid,
vivre laid, passe ! Mais mourir laid : ce n’est pas ce qui s’appelle
finir en beauté ! Il y avait chamboulement dans ma tête, comme s’il
fallait que je me presse à dresser le bilan de mon existence.
    Amuseur imprévisible et dérisoire, fantaisiste et
capricieux, provocateur et sage, confident, conseiller, révélateur, amuseur
drôle au regard changeant, incisif ou hagard au gré de l’invention, spectateur
des
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