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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois
Autoren: Francis Perrin
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donné le
droit de haïr :
    — Haïr le roi parce qu’il est le roi.
    — Les seigneurs parce qu’ils sont les seigneurs.
    — Et les hommes en général parce qu’ils n’ont pas tous
une bosse sur le dos.
    Ah ! Je ne t’ai pas dit, mais je bois du vin à présent
et même en grande quantité. Est-ce à cause de l’ami Rabelais ? Il ne doit
pas être étranger à ce que je trouve maintenant réconfort et oubli dans la dive
bouteille.
    « Teintez-vous, rouges-nez à la bouteillerie !
Chargez flacons, faites emplir tonneaux de vins de Beaune ou bien
d’Artois. »
    Étais-je dans les hallucinations vinicoles ou bien étais-je
dans la lucidité la moins avinée quand j’ai entendu les trompettes et les cors
de la chasse royale qui passait au bout du champ jouxtant ma maison ?
Ai-je rêvé quand mon roi descendit de sa monture pour venir me serrer dans ses
bras et s’enquérir de ma santé ?
    La chasse passa effectivement avec le roi à sa tête mais il
n’eut pas l’ombre d’un regard vers le petit bossu planté devant sa maison qui
resta de longues heures dans la même position bien après que la chasse se fut
éloignée. Mon cousin n’a pas seulement daigné me faire un signe de la main ni
jamais songé à s’enquérir de ce que j’étais devenu, alors que nous nous étions
côtoyés durant plus de trente ans !
     
    Les fols sont
roys, les roys sont fous
    couronne ou
bonnet verd en teste
    sceptre ou
marotte pour la feste
    ensemble mieulx
que chiens et loups
    roys et fols de
guerre et de chasse
    fols sont roys
de qui les pourchasse
    donc fols sont
roys et roys sont fous.
     
    Tout cela n’est que justice : je n’ai jamais vraiment
aimé les gens, maintenant ils m’indiffèrent, alors pourquoi me porteraient-ils
un quelconque intérêt ?
    Mon habit de bouffon n’était pas une défroque accidentelle,
c’était en quelque sorte ma seconde peau. Je l’ai brûlée et ma chair est à vif.
    Je vais mourir tout seul. N’est-ce pas le châtiment
suprême ? Mourir seul après avoir été adulé, craint, haï et n’être plus
rien. Qui pense à moi à présent ? Comme dit justement un des dictons qui
se sert de mon nom :
     
    Je ne m’en
soucie comme de Triboulet.
     
    Dans un sens, mon existence a été un échec : toute
cette vie tourbillonnante pour me retrouver seul et abandonné dans cette masure
au milieu des champs. Moi qui ne cherchais qu’à m’épanouir dans le silence, je
devrais être heureux.
    Je n’ai plus qu’une seule distraction quotidienne, c’est une
promenade qui me mène invariablement dans le petit cimetière perché sur la
colline au bout du village. Je lis les inscriptions gravées au bas des croix et
sur les pierres tombales. Toutes disent les vertus de droiture, de bonté, de
courage, de fidélité qui ont animé ces corps du temps de leur vivant. Je me
suis toujours demandé où étaient enterrés les menteurs, les scélérats et les
infâmes… !
    À force d’avoir vu tellement de gens mourir, il n’est pas
bien étonnant que la vie n’ait plus une grande attirance pour moi.
    Une fin de journée, assis sur mon petit muret de pierre,
lieu privilégié de mes réflexions quotidiennes, je m’amusais à bousculer dans
ma tête des images qui se superposaient : Louis XII, le maréchal de
Gié, Anne de Pisseleu, « mon cousin », Anne de Bretagne, Nicolas,
Rabelais, Le Vernoy, Machiavel, la reine Claude, Chailly et Herbault, ma
matrone, quand survint un événement qui restera la seule énigme de ma vie
jamais résolue.
    Un jeune homme de belle physionomie âgé d’une vingtaine
d’années, superbement vêtu, monté sur un beau cheval noir, s’arrêta devant moi
et, sans descendre de sa monture, me regarda longtemps avant de me
demander :
    « Vous êtes le sieur Triboulet ?
    — Ce qu’il en reste, oui.
    — Ma mère m’a souvent parlé de vous.
    — On parlait beaucoup de moi il y a un certain temps.
Qui était votre mère ?
    — Quelqu’un de bien, tout comme vous.
    — Je vois que vous me connaissez mieux que moi.
    — Puis-je vous être d’une aide quelconque ?
    — J’allais vous faire la même demande.
    — Je passais par hasard dans la région et j’ai appris
par les gens du village voisin que vous demeuriez ici. Je suis venu vous saluer
en souvenir de ma mère.
    — Comment se porte-t-elle ?
    — Elle a rendu son âme à Dieu il y a plusieurs années.
Vous exerciez le métier de bouffon, n’est-ce
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